La troisième révolution industrielle…

Pour dissocier les dernières années de la seconde révolution industrielle de l’après, nous devons déterminer maintenant une nouvelle période… 

Une troisième révolution qui se concentre sur la production d’autres choses que les trains, les voitures à moteurs thermiques, les câbles électriques ou les téléphones à touches. Une révolution qui marque une rupture véritable avec les deux premières, puisque d’une part l’industrie s’est focalisée sur des centres d’intérêts complètement différents. Et d’un autre côté, nous nous sommes mis à vivre d’une manière tout aussi différente lorsque nous avons épousé Internet… 

Nombre d’entre-nous vivons toujours en fonction des normes établies lors de la seconde révolution industrielle. L’exemple le plus emblématique que l’on pourrait citer est probablement celui de l’ancien président américain, Donald Trump : 

Le programme écologique, on s’en fiche. Les déchets et la pollution, on s’en fiche. La protection de l’environnement, on s’en fiche. Les émissions de CO2, on s’en fiche. Les voitures électriques et autonomes… fake ! Par contre, l’argent on ne s’en fiche pas et on est même prêt à faire n’importe quoi pour en accumuler le plus possible. Pourtant ceux qui s’accrochent encore à ce système se trompent lourdement. Les conséquences de ce modèle de vie et la réalité qu’il implique nous obligent en effet à penser différemment. Beaucoup l’ont contredit lorsque son ouvrage est sorti en 2011, mais il semble que la vision de Jeremy Rifkin, en ce qui concerne la troisième révolution  industrielle, ne soit pas si abracadabrante que ce que certains peuvent en dire.

Rifkin… pour ou contre ?

La troisième révolution industrielle (TRI) de Jeremy Rifkin repose sur trois choses : Le développement massif des énergies renouvelables (et de ce fait la disparition des énergies fossiles et du nucléaire), le développement de ce qu’il appelle à l’époque le capitalisme distribué (qui a doucement muté en une économie du partage, de l’accès et à une ubérisation) ainsi que le développement de l’économie collaborative. C’est-à-dire le lieu (ou plus souvent la plateforme numérique) où plusieurs personnes se réunissent pour partager leurs savoirs, afin de développer et enrichir un projet commun (comme Wikipédia par exemple). La TRI est un plan pragmatique (à l’issue de la seconde guerre mondiale, on parlait d’un plan Marshall) qui selon son auteur permet de pouvoir sortir de l’ère du pétrole si on respecte 5 conditions. Passer d’un régime d’énergie fossile à un régime basé sur les énergies durables. Re-configurer le parc immobilier mondial en mini-stations électriques capables de produire de l’énergie. Installer dans chaque bâtiment des systèmes de stockage et convertir les réseaux électriques en réseaux intelligents. C’est- à – dire des réseaux dans lesquels chaque petit producteur peut distribuer son énergie (nous y revenons) en pair à pair. Et enfin transformer la flotte automobile mondiale et son réseau d’alimentation en sources renouvelables. Mais nous l’avons déjà vu dans les pages précédentes – et comme on peut largement s’en douter – on ne s’attaque pas au monde du nucléaire (surtout à  une époque où l’Allemagne en regrette très sérieusement sa sortie), de l’électricité et du pétrole (et du gaz) sans soulever une vague de protestation. Néanmoins, que l’on soit pour ou contre les théories de Rifkin, les chiffres de ces dernières années démontrent que sa troisième révolution industrielle est bel et bien en train de se mettre en place progressivement (dans le monde occidental du moins)… 

Pour le développement des énergies renouvelables, de plus en plus de toitures sont recouvertes de panneaux solaires, les éoliennes individuelles entrent progressivement dans les jardins des particuliers et les recherches en termes de production d’énergies alternatives, durables et propres se développent à grands pas. Les moyens de stockage de cette énergie étaient jadis un rêve inatteignable – ou pour être plus vif, dont on ne voulait pas entendre parler – et aujourd’hui il s’agit d’un nouveau secteur industriel prometteur et non encore conquis. Venant des marchés publics et des entreprises, les fermes solaires et les parcs à éoliennes se multiplient de par le monde. L’éolien dans l’Union Européenne représentait en 2017, 17 % de la production d’électricité, alors que Rifkin, lui-même évoquait un probable 17 % en 2020. Selon l’IRENA, rien que pour 2018, les capacités de production électrique venant  du renouvelable a augmenté de 171 GW dans le monde. En tout, cela signifie que ces dernières (principalement le solaire et l’éolien) génèrent 2.351 GW 36. 

“Selon les chiffres publiés en juin par l’EIA dans son Electric Power Monthly with Data for April 2019, les moyens de production renouvelables américains ont généré 68,5 GWh d’électricité propre entre le 1er et le 30 avril 2019 (soit 23% de la production nationale). Le charbon, une des ressources fossiles les plus polluantes, a de son côté généré 60,1 GWh d’électricité sur la même période (soit 20% de la production nationale)”37.

Les réseaux électriques intelligents sont eux aussi en plein développement et des systèmes comme IssyGrid en France sont (en 2019) désormais entièrement opérationnels38. Entre 2012 et 2017, les emplois générés par les énergies renouvelables passaient de 5 à 9,8 millions, alors que le secteur des énergies fossiles même aux Etats-Unis (malgré les efforts de l’administration Trump à l’époque) perd du terrain d’années en années. Les Echos.fr publiaient un article en janvier 2018 décrivant la chute importante du nombre d’emplois dans le secteur de l’énergie aux Etats-Unis. Depuis 2006, le secteur de l’énergie a perdu 9% de sa force de travail39. Ce n’est pas de chance pour l’ancien président américain, qui pendant sa campagne électorale semblait vouloir démontrer que le métier de mineur était encore un… métier d’avenir. Si c’est le cas, ce n’est certainement pas dans les secteurs des énergies fossiles. Si travail minier il y a encore, ce sera plus précisément dans le chrome, le cuivre, le cobalt ou le platine (et pas le charbon) – et on ne sait pas encore si la Lune ou Mars ne seront pas nos premières sources d’approvisionnement de minerais, dans les années à venir. Et tout laisse croire que les qualifications exigées pour des exploitations minières extra-terrestres seront beaucoup plus lourdes que celles exigées sur terre. En bref, ce qui nous intéresse dans les futures exploitations minières concernent des ressources qui alimentent les marché des batteries ou des piles à combustible, donc par extension, ceux de la voiture électrique ou à hydrogène, de l’Internet des objets ou des appareils mobiles et autonomes. Et encore, tout ceci n’est que temporaire, puisque l’on commence à parler de plus en plus de batteries quantiques et de batteries à aluminium (voir même à base de déchets radioactifs, en verre, en polymère ou à base de fer) qui pourraient très vite remplacer les technologies de stockage actuelles. C’est une bonne nouvelle, car en ce qui concerne ces dernières, la question des ressources à long terme se pose. Tesla l’a démontré au début du mois de juin 2019 en tirant le signal d’alarme auprès des autorités américaines. Et ce n’est guère évident dans un contexte de guerre commerciale, lorsque la Chine menace les américains de stopper l’approvisionnement de ces matières premières. 

Parallèlement, on peut aussi penser que comme ce fut le cas pour l’acier il y a quelques années, le recyclage va très largement s’intensifier. En témoignent d’ailleurs LIAM et DAISY, les deux impressionnants robots recycleurs d’Apple. Ce n’est pas non plus un hasard si Elon Musk veut prolonger la durée de vie des batteries de ses voitures jusqu’à 1,6 millions de kilomètres (ce qui est un standard pour les véhicules poids lourds actuels, mais jamais pour un véhicule à moteur thermique pour les particuliers). En décembre 2021, IBM et Samsung ont annoncé qu’ils travaillaient en commun sur de nouveaux systèmes permettant de prolonger l’autonomie d’un smartphone à une semaine complète. Quoiqu’il en coûte, ce qu’il faut en retenir c’est que les enjeux sont aujourd’hui extrêmement importants et les ressources manquent déjà pour un marché qui est en pleine explosion. Ce qui va inévitablement pousser les chercheurs à trouver d’autres solutions que celles que nous avons aujourd’hui. En d’autres termes, l’immobilisme n’est plus du tout une bonne carte à jouer aujourd’hui, même si de nombreux acteurs misent toujours sur des secteurs boiteux.  

Pour ou contre, on s’en fiche… Rifkin marque quand même des points !

Nous pouvons l’espérer, c’est désormais dans le domaine de l’histoire, mais suite à l’annonce faite par (encore lui)  Donald Trump de quitter L’accord de Paris, en juin 2017, une alliance pour la lutte contre le réchauffement climatique (United States Climate Alliance) a été signée par les gouverneurs de trois états : la Californie, Washington ainsi que New York. Cela démontre bien que l’un des hommes les plus importants du monde n’a finalement pas autant de pouvoir que cela, même dans son propre pays. Mieux encore, dans les mois qui suivirent, jusqu’au 10 janvier 2018, douze autres Etats rejoindront l’alliance pour poursuivre les impératifs de réduction d’émission de CO2 fixés par la COP 2140. Huit autres Etats se sont eux aussi engagés à poursuivre ces objectifs, sans être membres de la United States Climate Alliance41. Dans l’intervalle un mouvement rassemblant 1.800 entreprises et 250 municipalités s’est formé sous la bannière symbolique « With or Without Trump », malgré la politique en faveur des énergies fossiles menée par l’administration américaine42

Depuis l’élection de Trump, l’engagement de nombreux acteurs privés, indépendants de l’État américain se sont regroupés dans une « Accelerating America’s Pledge“. Ils sont approximativement 4.000 et représentent 68% du PIB du pays et sont très clairement engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici 2030 43.

Et en dehors des Etats-Unis…

Du côté du développement des réseaux de recharge pour les voitures électriques, des pays comme la Suède, l’Islande et la Norvège se sont engagés à rompre leur dépendance aux énergies fossiles. La Norvège a multiplié ces dernières années les incitants fiscaux en faveur des véhicules propres : en 2016 déjà une voiture sur trois était électrique44. Les gouvernements travaillent sur le développement des réseaux de recharge de voitures en partenariat avec des entreprises privées et des communautés commencent à se former, pour offrir des réseaux garantissant la possibilité de recharger sa voiture45. Pendant l’été 2021, Elon Musk a annoncé que Tesla allait ouvrir son réseau de centres de recharge aux autres marques. L’allemagne tente elle aussi d’équiper chaque station service traditionnelle avec au moins une borne de recharge, et des entreprises comme Q8, ont commencé elles aussi (dans certains pays) leur transition vers l‘électrique. Du côté des constructeurs, ils proposent maintenant au moins un véhicule électrique ou hybride dans leur gamme (BMW, Jaguar, Ford, Honda, Renault, Hyundai, etc.), et certains comme Toyota, en proposent plusieurs voire même tous leurs modèles. Le constructeur japonais à l’aube de l’année 2022, a fait marche arrière sur sa réticence à développer des plateformes 100% électriques, en développant une gamme complète de véhicules non thermiques. La commercialisation mondiale des quatre véhicules de luxe et l’implantation du réseau de recharge de l’américain Tesla a démontré aux sceptiques que le véhicule électrique n’était plus le rêve infaisable que le lobby du pétrole a toujours entretenu. En 2018, selon le site automobile propre.com, trois millions de voitures électriques ou hybrides étaient en circulation dans le monde. Dont presque la moitié en Chine. Rien que pour le mois de février 2018, 81,000 véhicules du même type étaient immatriculés dans le monde. Et les courbes ne cessent de grimper au détriment du véhicule à moteur thermique et à hydrogène. Sur les six premiers mois de l’année 2020 – toujours dans le monde – le nombre d’immatriculations de véhicules hybrides rechargeables et 100% électrique est monté à 950.076 unités. Cela signifie donc une chose, même si beaucoup de gouvernements ont pris du retard, ou n’ont tout simplement rien fait, la réalité de l’hyper consommation irresponsable en a forcé plus d’un à changer son fusil d’épaule. Souvenez-vous de la Chine qui, il y a peu d’années encore, portait sur l’Occident les problèmes liés au réchauffement climatique, en rétorquant que les pays émergents n’avaient finalement pas les moyens pour entrer dans des accords contraignants. Les problèmes importants de pollution auxquels le pays a dû faire face ces dernières années, l’ont fait passer d’un état de déni complet au stade entreprenant actuel, qui risque d’amener le pays au rang, non seulement de premier producteur mondial d’énergie renouvelable, mais de plus, si les choses continuent dans ce sens, du pays qui dispose du plus gros parc d’automobiles électriques et hybride au monde (voir même au pire du premier constructeur mondial de véhicules électriques). Une chose est certaine aujourd’hui, on ne verra guère plus de de véhicules à moteurs thermiques dans la deuxième partie de ce siècle.  Bref, en ce qui concerne la transition du parc automobile mondial, on peut dire que la machine ronronne et les petites améliorations quotidiennes continuent de faire les grands changements. Et cela vaut aussi pour ce que Rifkin qualifiait de capitalisme distribué. A savoir, l’ubérisation dans le monde de la critique littéraire, de presse ou médiatique, dans celui du transport, celui de la logistique, de la santé, des services aux personnes, dans la restauration, dans le domaine bancaire, dans l’industrie du sexe, dans le journalisme, la publicité, la littérature ou encore dans l’enseignement, ainsi que pour l’économie collaborative (crowdfunding, Open Source, partage de la propriété intellectuelle, crowdsourcing et DIY (Do It Yourself)). 

Du côté des opposants…

On ne peut s’en étonner, les théories de Rifkin bousculent, gênent et génèrent de nombreux opposants (même plus de dix ans après la sortie de son ouvrage en 2011). Parmi ces opposants (ceux que j’ai tendance à préférer) se trouvent Jean Gadrey, Noël Mamère, ainsi que Bertrand Cassoret. D’accord, il y a d’autres qui sont bien plus connus, mais ces derniers méritent que l’on s’attarde néanmoins sur eux…  

Pour Jean Gadrey, professeur d’économie, honoraire à l’Université Lille 1, Rifkin fait un choix stratégique pour refuser un scénario de « prospérité sans croissance ». Il utilise un discours et un titre séduisant pour convaincre tantôt les dirigeants, tantôt les «industrialistes». Pour lui, il aurait été moins payant s’il prônait la sobriété matérielle et l’objection de croissance46. Oui c’est vrai, mais les trois piliers que Rifkin prône dans sa TRI (suprématie des énergies renouvelables, capitalisme distribué et économie collaborative) entraînent inévitablement une sobriété matérielle. Même si celle-ci peut être contredite par une évidente matérialisation partielle du traitement des données (par les Data Centers notamment) par exemple. Quant à l’objection de croissance, elle n’a pas d’existence dans le discours rifkinien (de même que l’écologie n’apparaît pas dans le discours d’Elon Musk). La décroissance étant une théorie controversée et peu fiable (même si elle a mené d’une certaine manière à cette époque formidable dans laquelle nous vivons aujourd’hui) pouvant mener à des problématiques économiques et sociales très risquées. La croissance est en soi un problème lorsqu’elle entraîne la destruction des ressources naturelles, mais n’est pas forcément un problème dans le cas où elle n’entraîne pas de détérioration des ressources terrestres.        

Poursuivons… 

En octobre 2014, un collectif composé d’économistes, d’historiens ou encore de politiciens  dont Noël Mamère, publie dans le quotidien Libération un article intitulé « La troisième révolution » de Rifkin n’aura pas lieu. Le groupe admet que le constat sur lequel Rifkin part est tout à fait valable mais cependant les solutions qu’il propose sont pour le moins sournoises47. La troisième révolution industrielle et le capitalisme numérique consistent pour les auteurs en une vision simpliste d’un point de vue écologique et social, niant les effets directs ou indirects des nouvelles technologies. Le pouvoir croissant d’une poignée d’entreprises gigantesques du monde numérique et la collecte des données personnelles dans le monde entier, ne peut mener qu’à une sorte de dictat de quelques individus, sur une population toujours plus soumise aux smartphones et aux écrans plats48. En bref, il s’agit ici d’un débat qui fait encore rage à l’heure actuelle puisque ces derniers ont réussi à faire passer leur message à un point tel que la presse et les réseaux sociaux ne mentionnent plus (ou presque) que les aspects négatifs liés aux nouvelles technologies (surtout quand ils viennent des GAFAM), tout en mettant volontairement de côté les aspects positifs. Notamment en mettant l’accent sur les quatre champions toutes catégories du manque de bonne foi : la consommation énergétique de l’industrie numérique – rappelons-le quand même qui se résume aujourd’hui à un très faible pourcentage (4%, mais il est clair que les choses vont aller en augmentant avec le temps) par rapport aux secteurs du pétrole et du gaz naturel – l’absence de protection du consommateur par rapport à ses données personnelles (ce qui a donné naissance aux cyniques RGPD et DSA (Digital Services Act, (vous en apprécierez la consonance linguistique par rapport à son prédécesseur)), des entreprises qui échappent au fisc, car elles maximisent l’optimisation fiscale et enfin le manque d’encadrement public de ces dernières, elles-mêmes devenues aujourd’hui trop importantes. Jean Gadrey abonde d’ailleurs dans ce sens en mettant l’accent sur le côté hyper matérialiste, hyperconsumériste et hyperproductif de la thèse de Rifkin. Il pose aussi une question (néanmoins) intéressante : «Qui, dans sa TRI, va pouvoir transformer son logement en fournisseur net d’énergie, se payer un véhicule à pile à combustible producteur d’électricité et s’équiper en super imprimante 3D ? 49 ». 

C’est certain, quand votre myopie vous empêche de voir plus loin que le bout de votre nez, vous ne pouvez pas aller très loin sans lunettes ! 

Mais avec Gadret , le meilleur reste à venir… 

Pour lui, le fait que chacun puisse devenir producteur d’électricité relève de… l’aveuglement. La solution la «plus fiable comme scénario est un travail collectif remarquable et de longue haleine, FONDÉ EXCLUSIVEMENT SUR DES TECHNOLOGIES QUI EXISTENT DÉJÀ et jamais sur des paris hasardeux de « ruptures »50. Si vous avez encore des doutes sur les raisons qui ont fait que l’Europe a raté son entrée dans le XXI°siècle, n’en ayez plus ! Voilà exactement pourquoi nous sommes considérablement en retard sur les Etats-Unis (et de manière un peu différente sur la Chine), alors même que tout ce qui fonctionne aujourd’hui en termes d’innovations, ne se base que sur une seule chose… la rupture. Comment peut-on aujourd’hui, avoir une vision aussi cloisonnée et aveugle de l’économie ? Comment peut-on tolérer que des gens comme Jean Gadrey puissent influencer avec des discours aussi stupides, les esprits brillants qui fréquentent les universités européennes ? Comment peut-on concevoir pouvoir faire notre place dans ce siècle technologique nouveau, avec de tels raisonnements ? 

Ce n’est certainement pas en misant tout sur le nucléaire ou sur cette économie qui ne peut plus rien offrir d’autre, désormais que deux portes gobelets supplémentaires dans un nouveau modèle de voiture (Musk), que l’on va pouvoir s’en sortir au XXI°siècle. Poursuivre sur cette voie ne pourrait conduire qu’à aller droit dans le mur ! Si l’on prend les 100 plus grosses entreprises dans le monde qui ont été créées il y a moins de trente ans, une seule est française, Free. Neuf sont européennes et plus de soixante-dix sont américaines (attention, la Chine est en ce moment en train de bouleverser ces chiffres). Comment alors s’étonner, lorsque l’on écoute de tels propos, d’être complètement dépassé ? Des raisonnements aussi réducteurs nous obligeraient encore aujourd’hui, à aller enlever de l’argent dans un guichet de banque plutôt que de payer nos achats avec une carte de crédit en ligne. 

Malheureusement, ce n’est pas encore terminé…

Sur le côté technique, l’ingénieur Bertrand Cassoret attaque Rifkin de front, dans un article publié en 2013, intitulé Jeremy Rifkin plaît beaucoup mais il maîtrise mal ce dont il parle : «Jeremy Rifkin, qui ne connaît apparemment pas grand-chose aux problèmes technologiques dont la compréhension est pourtant cruciale dans ces débats, se contente de se référer à quelques travaux scientifiques lui permettant de se rassurer sur la faisabilité de son plan»51. Les critiques de Cassoret se basent en premier lieu sur notre incapacité à stocker l’énergie : « [ ]le soleil amène largement plus d’énergie chaque jour à la Terre que les terriens n’en ont besoin, mais savoir la capter et la stocker n’est pas une mince affaire [pour sortir du nucléaire] il faudrait, d’après ces plans bien optimistes sur les renouvelables, diminuer de 50% la consommation [ ] tout à fait incompatible avec la croissance économique recherchée par tous les dirigeants »52. Ensuite vient le manque d’efficacité des éoliennes individuelles. Il est en effet médiocre et pour produire de l’électricité en suffisance les chiffres sont irréalisables… Il faudrait 25 millions d’éoliennes pour en produire 25% 53. Puis vient le sempiternel “produire des batteries à grande échelle est inenvisageable » et pour la production de piles à combustible utilisant de l’hydrogène, la technologie ne le permet pas et la production à grande échelle de ces piles est difficile car elle nécessite des métaux rares comme le platine54. Quant au fait d’utiliser Internet pour distribuer de l’électricité, trois arguments sont mis en valeur… D’une part, l’énergie ne se transporte pas comme des données informatiques. Ensuite, la décentralisation des centres de production d’électricité entraîne des besoins plus importants en énergie. De plus, une distribution latérale de l’électricité ne changerait rien aux règles physiques55. Enfin, une transformation du parc automobile mondial entraînerait une demande supplémentaire pour la France de 50%. C’est-à-dire ce qu’il faudrait pour pouvoir sortir du nucléaire. Il est donc selon Bertrand Cassoret impossible de passer au renouvelable. Il faut admettre que Rifkin « fourmille d’idées, qui bousculent forcément le modèle français centralisé et les grandes entreprises »56. Et c’est bien là qu’est le problème, car il fait couler encore beaucoup d’encre en ce début de décennie 2020. Ces arguments sont certes pertinents, mais Gadrey, Cassoret ou Mamère (et les autres) ne voient encore qu’un système hautement hiérarchisé dominé par ces grands monopoles industriels agissant de concert avec l’Etat. Une obsession principalement française qu’il serait franchement grand temps de mettre au placard, car aujourd’hui, nous avons les moyens d’aller au-delà de cette vision très limitée.

Nous avons d’innombrables façon de produire de l’électricité et nous pourrions nous passer à court terme des énergies fossiles et à plus ou moins long terme du nucléaire. Attention cependant à la leçon que nous avons reçue après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et qui nous a fait réaliser que nous ne pouvions pas rompre radicalement avec celle-ci.  Il serait risqué, voire suicidaire de vouloir renoncer au nucléaire à court terme. La solution choisie par l’Allemagne – à savoir sortir du nucléaire pour  faire tourner à plein rendement des centrales à charbon – tourne au ridicule, mais de plus est complètement incompatible avec les accords de Paris. Dilemme cependant, car le renouvellement du parc des centrales nucléaires coûterait extrêmement cher (et son démantèlement tout autant) et surtout nous lierait pour au moins cinquante ans à ce type de production énergétique. A ce propos, il faut aussi ajouter que les partis écologistes européens sont eux aussi complètement à côté de la plaque lorsqu’ils affichent ouvertement une volonté de foncer tête baissée vers la production d’électricité via des centrales à gaz. D’une part, l’exploitation du gaz naturel est loin d’être écologique, mais de plus, nous en avons la preuve aujourd’hui, elle nous met à genoux par rapport à la Russie qui possède cette ferme réputation d’aller là où – du jour au lendemain – le vent la porte. Si vous avez – après l’invasion de l’Ukraine – encore des doutes sur le sujet, demandez aux responsables de la NASA, ce qu’ils en pensent et leur réponse vous fera certainement changer d‘avis sur la fragile fiabilité d’une nation qui a encore du mal à trouver sa place dans ce siècle. 

Retour en France… Ce qui est tout à fait surprenant, et j’en réfère à nouveau à cette obsession toute agaçante pour la centralisation, c’est qu’elle nous empêche de faire preuve de créativité, alors que la simple force mécanique exercée par l’homme, couplée à la technique et à la technologie, peut générer une quantité d’énergie époustouflante. Le solaire, l’éolien, le thermique, l’hydraulique, la Biomasse, sont des options tout à fait plausibles pour satisfaire nos besoins en électricité, mais pourquoi mettre de côté les options alternatives ?

La réponse est très simple : elle rendrait indépendant chacun de nous en termes de production énergétique et une fois de plus, ce n’est pas de nature à plaire à tout le monde.

Voici la réalité de l’ère industrielle :

« Dans le monde actuel [2011], trois des quatre plus grandes entreprises sont des compagnies pétrolières : Royal Dutch Shell, Exxon Mobil et BP. Après ces géants de l’énergie viennent environ 500 sociétés mondiales représentant tous les secteurs et industries, dont le revenu cumulé (22 500 milliards de dollars) ce qui équivaut au tiers du PIB mondial [ ] et qui sont indissociables et dépendantes des énergies fossiles pour leur survie même »57

C’était du moins la réalité au début de la décennie 2010. Qui, à votre avis, tire à boulet rouge sur les énergies renouvelables et sur le système qui est en train de l’envoyer au placard ? 

Les choses ont cependant bien changé et voilà la réalité du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui :

Il y a encore peu de temps, lorsque l’on observait le classement annuel des plus grosses entreprises PwC publié en juin 2017, le secteur technologique pour la deuxième année consécutive avait pris le dessus sur l’industrie pétrolière et la finance. Seul Exxon Mobil restait encore dans les cinq premières entreprises mondiales après Apple, Alphabet (Google), Microsoft et Berkshire Hathaway58. En l’espace de cinq ans, l’industrie pétrolière, même si elle restait encore très puissante, avait perdu sa suprématie dans la tête du classement mondial des plus grosses entreprises. Enfin, en février 2019, si on tient compte de leur capitalisation boursière, les cinq plus grosses entreprises du monde sont toutes issues du numérique (Apple, Alphabet, Microsoft, Amazon et Tencent)59. Le confinement de 2020 a même été tellement prolifique pour les grosses entreprises technologiques que certaines d’entre elles comme Apple et Microsoft ont dépassé les deux billions (2000 milliards de dollars) de capitalisation boursière. Tesla – qui rappelons le, est un petit constructeur automobile – a quant à elle dépassé les 1000 milliards. Des chiffres qui font tourner la tête et qui n’appartenaient jusqu’ici qu’au monde du pétrole, avec Saudi Aramco. Mieux encore, le lundi 3 janvier 2022, Apple atteignait la barre symbolique des 3000 milliards de dollars de capitalisation (avant de retomber en dessous des 2.400 milliards en mai 2022). Ces chiffres sont avant tout le reflet de la confiance que les marchés boursiers (donc les investisseurs) ont pour le monde numérique et il est désormais très clair que le pétrole n’y a plus sa place à long terme…   

Donc, voici où nous en sommes…

Bien des éléments nous montrent depuis 20 ans que la révolution techno-écologiste, telle que Rifkin l’avait théorisée au début des années 2010 (voir même depuis le début du siècle), se mettait en place progressivement. Aujourd’hui, les camps adverses contribuent à mettre l’accent sur les failles éventuelles de cette troisième révolution industrielle. Cela pourrait se résumer à des notions standardisées et communément admises comme “les batteries nécessitent des métaux qui se raréfient et périssent vite. La voiture électrique consomme de l’électricité produite par des énergies fossiles. Le rendement des panneaux solaires et des éoliennes n’est pas bon. Les matériaux nécessaires à leur fabrication sont comme les terres rares, peu responsables pour l’environnement (voir même pour l’humain). Le numérique est un gros énergivore, de plus il est aquavore”, etc, etc, etc… 

Pour ceux qui se fixent comme objectif de sculpter la représentation politique de la prochaine décennie, voici donc un terrain fertile que je vous offre : 

Si gauche ou droite ont existé un jour,  il semble qu’elles aient disparues depuis bien longtemps. A l’exception peut-être des années 30 et 40 (en Europe du moins), le monde politique depuis la seconde révolution industrielle a souvent été partagé entre un socialisme libéral ou un libéralisme socialiste (pour ceux qui désirent plus de précisions sur mes propos, je vous recommande vivement les biographies de Victor Hugo (Alain Decaux) et de Winston Churchill (François Kersaudy)). En d’autres termes, les formations politiques qui se sont succédé au fil des décennies se résumaient à un centre qui refusait d’accepter son statut de centre. Le paysage politique aujourd’hui n’est ni plus, ni moins qu’un noyau dur dans lequel la gauche, la droite, les centristes, les écologistes (engagés politiquement et pas forcément ceux qui le sont vraiment), les rationalistes, les climatosceptiques, les populistes de gauche comme de droite et les lobbies se battent pour faire leur(s) place(s) et surtout pour la garder dès qu’ils l’ont obtenue. Un centre qui se dispute l’héritage des deux premières révolutions industrielles et les promesses de la troisième, souvent à grands coups de procès ou de mises en place de nouvelles législations (RGPD et DSA en premières lignes). Et tout ceci, en fermant les yeux volontairement sur ce que pourraient apporter aux populations les deux révolutions industrielles suivantes. Thomas Friedman – chroniqueur au New York Times considère qu’aujourd’hui trois forces sont en train de s’opposer les unes aux autres… La première est selon lui, le marché (the Market) qui allie à mon sens (et non au sien) l’Etat, l’agriculture et l’Industrie. Le second est, ce qu’il appelle Mother Nature. Cette Terre Mère englobe aussi toutes les passions qui visent en la protection de cette dernière. Enfin nous avons le monde technologique. Ces trois forces s’opposent maintenant en permanence, mais peuvent aussi avoir certains intérêts communs.  Il serait donc intéressant de voir les choses de manière verticale et non plus horizontale comme nous en avions l’habitude auparavant. C’est bien entendu une proposition que je vous fait, mais vous êtes toujours libres de continuer de croire à l’authenticité d’une véritable gauche ou d’une véritable droite, si vous en avez envie (vu les résultats du premier tour des présidentielles en 2022, nous ne sommes plus vraiment nombreux à y croire, n’est-ce pas ?). Néanmoins, si vous acceptez la grille de lecture que je vous propose, vous vous rendrez compte, très vite, que le centre dans lequel se mêlent la plupart des tendances est aujourd’hui, pris en étau entre deux ennemis uniques en leur genres. Ces deux groupes sont représentés d’une part, par une tendance bobo qui peut même se laisser aller à l’extrême, vers la collapsologie. De l’autre côté – bien  au – dessus – se trouve cette entité qui ne s’attarde pas à botter les fesses des membres du noyau dur, mais qui lui démontre au quotidien qu’à chaque innovation, ce dernier est devenu avec le temps indiscutablement obsolète. Des entreprises qui n’ont pas peur de remettre le pouvoir et l’utilité même de l’Etat en question. C’est ce que l’on appelle le libertarianisme. Cela pourrait se résumer à quelque chose comme “Nous voulons le moins d’Etat possible et si c’est possible, nous ne voulons pas d’Etat du tout” ! Bienvenue donc dans le monde du libertarianisme, de la singularité, voire même du transhumanisme !

Sébastien Colson 

C’était bien ?

Bon…

Mais ce n’est pas tout, car une époque formidable c’est aussi un site Web et des centaines de réflexions qui traitent des problématiques de notre monde et c’est aussi…

Un bureau de rédaction, d’illustration et un service de sponsoring !

Ah oui, au fait, nous sommes aussi sur Facebook, Twitter, Instagram, YouTube et nous avons aussi un groupe sur Facebook sur lequel nous pouvons discuter de toutes les problématiques qui se posent à nous, donc on vous y attend car nous avons besoin de vous !

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