Les outils technologiques que nous avons dans les mains nous mènent de plus en plus vers une société qui ressemblerait à celle du coût marginal zéro. Il s’agit ici d’un sujet apparemment d’actualité car Nicolas Bouzou et Luc Ferry reviennent sur ce thème cher à Jeremy Rifkin dans leur ouvrage commun paru en 2019, Sagesse et Folie du monde qui vient…
Retour sur le terme…
Le moins que l’on puisse dire est qu’il semble, à en lire les deux auteurs, que cette nouvelle société du coût marginal ne fait pas l’unanimité, surtout en France. Il faut dire que d’un point de vue intellectuel, l’auteur américain bouscule souvent l’esprit pragmatique français.
Depuis le XIX° siècle, la préoccupation économique principale a été de vendre un produit ou un service. Aujourd’hui, le phénomène tente de s’inverser avec des entreprises qui « font littéralement cadeau de leurs produits aux consommateurs dans l’espoir de s’attacher leur fidélité [et leurs données] à long terme en leur fournissant toutes sortes de services ». L’après 2008 a accentué ce phénomène et aujourd’hui « posséder et accumuler [sauf peut-être un Picasso] n’ont plus guère de sens dans une économie où la seule constante est le changement » (Rifkin). Il suffit d’observer la généralisation des applications gratuites qui offrent simultanément une version Premium plus élaborée en échange de quelques euros (souvent une dizaine). En toute bonne logique, si un produit se dématérialise, il ne devrait plus nous coûter grand-chose à partir du moment où nous avons accès à l’appareil qui nous permet sa dématérialisation, ainsi qu’à la connexion qui nous permet d’y accéder. Il serait intéressant par ailleurs de se demander si nous pouvons imaginer un monde dans lequel la plus grande partie de nos besoins (qui dépassent nos besoins physiologiques) ne pourrait pas être fournie sur le même modèle. Ce système a démontré, par ailleurs, très largement son efficacité dans le domaine du produit culturel. Nous l’utilisons déjà pour écouter de la musique, pour lire, pour regarder des films et des séries, ou bien encore pour jouer à des jeux vidéo. Il pourrait aussi s’étendre pourquoi pas, à toutes les applications ou aux logiciels informatiques. Vous pourriez donc avoir accès à une multitude de services numériques pour une somme forfaitaire et non plus à un accès unique pour chacun d’eux.
Allons plus loin…
Imaginons ainsi un système similaire qui nous donnerait accès à un service de voiturage (avec le véhicule autonome, nous n’en sommes plus très loin), à l’électricité, à une assurance maladie (largement moins coûteuse grâce à l’IA et la robotisation ou la dématérialisation des services médicaux), à la sécurité personnelle (corps humain, propriété, biens divers), aux services ménagers, aux assurances en général, à l’éducation (y compris aux formations à long terme) pour tous les membres de la famille, à l’habillement ainsi qu’à tout type de livraison. Vous allez peut-être me dire que cela existe déjà pour le transport et l’électricité…
Cela se résume en un seul mot… l’abonnement.
Oui certainement mais à quel prix ?
Nous ne parlons pas ici de payer l’électricité comme nous le faisons aujourd’hui. Il s’agit bien d’avoir accès pour un forfait dérisoire, à une offre presque illimitée comme c’est le cas aujourd’hui avec Netflix ou Spotify.
Résumons : Films et séries, Musique, Livres, Jeux Vidéos, Applications et logiciels divers, Voiturage, Électricité, Assurance Maladie, Couverture de sécurité personnelle, Services ménagers divers, Assurances en tous genres, Éducation, Habillement, Livraisons 24/24…. En tout, 14 domaines accessibles pour tout simplement 10 euros par mois pour chacun d’eux. Ceux-ci offrant la possibilité d’upgrader vers des versions Premium selon les besoins de chacun (plusieurs membres de la famille par exemple). Cela peut, peut-être sembler farfelu, mais pourtant de nombreux indicateurs nous démontrent que nous nous orientons lentement vers ce type d’économie : échange, récupération, réutilisation, recyclage, impression 3D, dématérialisation, robotisation, drones et surtout, surtout et encore surtout le déploiement considérable de l’Intelligence Artificielle. Tous ces éléments font en permanence chuter les prix et les uns additionnés aux autres offrent des combinaisons et des possibilités toujours un peu plus abordables à chacun de nous. Du moins quand les institutions publiques et privées le permettent. Rappelons à ce propos, en guise d’exemple, les attaques multiples contre Uber…
Pour les films et les séries, la musique, les livres et les jeux vidéos, il semble qu’il n’est plus nécessaire de faire la démonstration de l’efficacité du système. Il n’est pas trop difficile de concevoir que ce dernier puisse se mettre en place pour les applications et les logiciels informatiques puisqu’ils sont, eux-aussi, des produits culturels dérivés. Il en va de même pour l’accès à un service de voiturage sans chauffeur et pour un service de livraison à domicile 24/24. Des services aux populations pour lesquels les constructeurs automobiles et des entreprises comme Uber, Apple, Amazon, et Google (et c’est sans compter sur les entreprises chinoises) s’activent au pas de charge. Ajoutons à cela les services ménagers, toujours plus abordables car toujours plus technologiques et liés au savoir faire des robots.
En ce qui concerne l’électricité, la gestion intelligente des réseaux de distribution (quand les opérateurs sont de bonne foi et de bonne volonté), la multiplication des moyens de production énergétiques (mais aussi ceux pour maximiser la production et minimiser la consommation), la généralisation et l’amélioration des performances des énergies renouvelables devraient non seulement entraîner une forte chute des prix de celle-ci, mais aussi faire changer de mains (et c’est là que les choses changent réellement) ceux qui la produise et qui la distribue aujourd’hui. N’en déplaise aux obsédés de la centralisation de la production énergétique, mais dans une perspective d’hyper production électrique venant de particuliers et partagée sur des Smart Grids, celle-ci devrait inévitablement être accessible à tous, à des prix très largement inférieurs à ceux qui sont pratiqués aujourd’hui. La startup espagnole Wallbox vient d’ailleurs de développer des chargeurs intelligents qui permettent de recharger des véhicules quand l’électricité n’est pas chère et en même temps, de la réinjecter dans un bâtiment quand l’électricité est chère. Il faut savoir à ce propos qu’une batterie d’une modèle 3 chez Tesla (qui varie de 55 à 80 kWh) permet de couvrir la consommation moyenne d’un foyer pour une période allant de quatre à six jours. Ce n’est bien entendu pas intéressant pour l’autre camp, mais le plus important c’est que c’est intéressant pour le consommateur (ou pour reprendre le terme ingrat attribué par les opérateurs – l’usager). Il en va exactement de même avec Internet, notamment avec le déploiement de satellites de SpaceX, de One Web et de Blue Origin (et les autres). Les moyens technologiques existants, font aussi s’écrouler les coûts impliqués à la protection des personnes, des bâtiments et des biens personnels (notamment avec les drones de surveillance, les capteurs et les caméras toujours plus accessibles financièrement, et déployés en masse par des firmes comme… (encore une fois) Amazon, entre autres avec des systèmes comme Ring. Aussi, aujourd’hui on peut se doter d’un équipement valable pour quelques euros seulement. Encore une fois, il ne faudra pas longtemps, collecte massive des données oblige, pour que nous ayons accès à un service complet de protection pour le prix d’un abonnement Netflix mensuel et il en va de même pour les assurances, l’éducation et l’habillement. Quiconque se demande si ce scénario est possible oriente probablement ses réflexions sur une mauvaise voie, car il s’agit aujourd’hui avant tout de savoir QUI aura le pouvoir de mettre ces systèmes en place. Et si vous avez encore un doute sur ce point, analysez juste l’histoire d’Apple, de Netflix, d’Amazon, de Tesla ou encore de Google. Un comble lorsque l’on pense que l’Union Européenne, dans laquelle fourmillent des centaines de milliers d’intellectuels (pour beaucoup de gauche) se demande, sans succès depuis une dizaine d’années, comment l’Europe pourrait se doter de ses propres GAFAM.
Mais revenons-en à notre offre…
En résumé, en dehors de manger, de se loger et de procréer, tous vos besoins seraient donc couverts pour environ 150 euros par mois et il est clair que ce n’est pas grand chose par rapport à ce que cela peut coûter aujourd’hui. Pour une nation aussi terre à terre que la nôtre, on peut se douter qu’une grande majorité de personnes peuvent être sceptiques sur ce point, mais néanmoins allons encore un peu plus loin…
Imaginons maintenant qu’un calculateur arrive à mettre en location tous – absolument tous – les espaces de vie inoccupés (donc bradés aux prix les plus bas) en temps réel, et qu’une application de mise à disposition de ces mêmes bâtiments, toujours en temps réel, voit le jour. Ajoutez encore à cela la multiplication de bâtiments imprimés en 3D (cette méthode faisant chuter drastiquement les prix de la construction et de ce fait des remboursements des crédits qui lui sont liés), les petites structures écologiques qui se multiplient un peu partout, ou bien encore une potentielle augmentation de l’offre des biens immobiliers due à la désertion massive des bâtiments professionnels (suite à l’explosion du télétravail)… Tous ces éléments sont, ou du moins pourraient constituer des facteurs qui aideraient à faire baisser les prix des locations. D’autant plus que la généralisation du modèle AirBnB est elle aussi possible, voire même probable. Les résultats de l’entreprise pour le premier semestre 2021 étaient à ce propos évocateurs, avec une très forte augmentation du nombre de nuitées vendues, mais aussi un allongement conséquent des périodes de location qui dépassaient les 20 jours. En traduction, les gens qui télétravaillent bougent beaucoup plus. Et c’est normal puisque nous pouvons en effet aujourd’hui, à partir de n’importe quel écran intelligent, accéder à nos comptes pour n’importe quel service sur Internet, voire même à tous les services (probables) dont nous venons de parler ci-dessus. L’écran de TV est sur ce point un outil intéressant et nous devrions nous pencher en Europe – avant que d’autres ne le fassent – sur les possibilités qu’il pourrait permettre dans ce type de contexte, notamment en terme de travail à domicile.
Je vous laisse donc le soin d’imaginer la suite…