Quand des acteurs fondateurs, quittent les grands projets qu’ils ont eux-même lancés, ce n’est jamais vraiment de bonne augure…
Lorsque Bruno Le Maire et Thierry Breton affichaient fièrement une volonté de souveraineté en termes de cloud computing, il y a un peu moins de deux ans d’ici, des doutes pouvaient déjà, à l’époque, être émis sur la viabilité du projet. A raison d’ailleurs, puisque plusieurs initiatives européennes qui s’inscrivaient dans des registres similaires se sont soldées par des échecs retentissants…
Une ouverture d’esprit malheureusement trop… fermée ?
Afficher une volonté très claire de mettre sur pied un Cloud Européen, cela implique plusieurs choses. Notamment que celui-ci devrait être avant tout européen et rien qu’européen. Lorsque l’on évoque un sujet aussi sensible que celui de la conservation des données, que l’on a mis sur pied une réglementation aussi restrictive (surtout pour la créativité des entreprises) que le RGPD, et qu’en plus on s’apprête à en faire de même avec l’intelligence artificielle, on se doit de tenir certains engagements qui tiennent la route et qui ne rentrent pas en contradiction avec les fondements du projet initial.
Le problème est qu’en novembre 2020, les gouvernements français et allemands, à l’origine du projet, ont décidé d’ouvrir Gaia-X aux entreprises non-européennes. Une chose qui n’était déjà pas facile d’accepter pour les uns comme pour les autres, mais surtout pour les entreprises françaises qui étaient parties prenantes dans l’histoire. D’un certain côté, on peut les comprendre puisque nous parlons de souveraineté en matière de données par rapport aux entreprises chinoises, indiennes ou américaines et au final nous sommes très loin du compte. A l’annonce même de cette ouverture, des entreprises comme Tencent, Huawei, Alibaba, Amazon ou encore Microsoft postulaient pour faire partie du projet. Les choses avaient alors tourné au vinaigre en interne – surtout du côté français – mais les Allemands étaient arrivés à modérer les différentes parties en proposant un compromis. Ce dernier autorise en effet, les fondateurs du projet à exclure les non-européens indésirables s’il le jugent nécessaire. Autant dire que vu le laisser aller des français vis à vis des entreprises technologiques chinoises – en témoignent la composition du conseil d’administration de Huawei France, ou bien encore la position de Xiaomi sur le marché des smartphones dans l’hexagone – il était entendu que c’étaient les GAFAM qui étaient dans la ligne de mire et que l’on ne voulait clairement pas d’eux dans le projet…
L’Europe d’aujourd’hui n’est plus celle de Chirac et de Schroder…
Une fois encore, on ne peut pas en vouloir aux principaux initiateurs du projet de mettre l’accent sur l’ identité européenne. Mais si autrefois, les allemands et les français parvenaient à s’entendre même quand ils échouaient – ce fut le cas par ailleurs avec le moteur de recherche Quaero en 2005 (ce dernier étant supposé devenir le concurrent européen de Google à l’époque) – ils ne semblaient pas si divisés que dans le cadre du projet Gaia-X. L’expérience fut en réalité un véritable fiasco. Toujours est-il qu’aujourd’hui, il semble que les allemands et les français ne sont plus forcément capables de s’entendre sur leurs projets développés en commun. Les allemands qui, par ailleurs étaient les initiateurs de Gaia-X gardaient logiquement à l’esprit une collaboration avec les américains. Les français quant à eux avaient clairement comme ambition de mettre les américains sur le côté quitte à travailler avec les chinois. Dans de pareilles conditions, on ne va pas très loin lorsque l’on est pris entre deux feux et forcé de choisir si l’on peut collaborer avec les uns, plutôt que d’être mangé par les autres. Et il semble qu’ici le dragon n’est pas le même si l’on se situe de l’un ou l’autre côté du Rhin. Pour Yann Lechelle, le patron de Scaleway, une entreprise qui faisait pourtant partie des membres fondateurs de Gaia-X et qui vient de quitter le projet, une bataille s’est engagée avec les GAFAM et apparemment, pour lui la guerre n’est pas perdue. Le problème est qu’il se trompe sur deux point :
Le premier est qu’il n’y a pas de bataille entre les GAFAM et les entreprises européennes. Le second est que si c’était le cas, la guerre est déjà perdue d’avance et lorsque l’on a conscience de cela, on ne commence pas les hostilités.
Une lucidité qui doit être plus forte que l’orgueuil national…
Faut-il répéter, alors que Berlin se profile comme un pôle technologique, voire même le seul et unique pôle technologique en Europe, que Paris n’en est, quant à elle, nulle part en la matière ?
Sur une thématique aussi importante que celle d’un cloud européen, si les allemands se rendent comptent que l’UE ne pourra pas faire cavalier seul, il serait peut-être temps de prêter l’oreille et de faire preuve d’un minimum de modestie. Nous ne pouvons pas concurrencer les américains là où ils sont extrêmement performants. Si les chinois y arrivent, voire même les dépassent, c’est avec des structures ultra étatiques rigides et peu ouvertes aux principes des droits de l’homme. En bref, en Chine,vous n’avez pas le choix de dire, Non ! Si toutefois l’UE, fait parfois preuve de bon sens en ce qui concerne notre complémentarité avec les américains – en témoigne par ailleurs nos ambitions communes en termes de conquête spatiale – là où Yann Lechelle se trompe lourdement, c’est qu’il ne peut pas y avoir de batailles avec les américains pour ce qu’il ont créés et qu’ils gèrent parfaitement. Nous avons un savoir-faire certain dans des domaines précis. Les américains ont les leurs et nous devrions arrêter de perdre notre temps. Nous avons raté notre entrée dans l’ère numérique, c’est vrai et nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous avons manqué de créativité et n’avons pas voulu voir plus loin que le bout de notre nez, c’est vrai et nous devons – ici encore – nous en prendre uniquement à nous-mêmes. Nous avons néanmoins tous les éléments aujourd’hui pour marquer à nouveau l’histoire, alors saisissons-les et arrêtons de parler ou d’agir dans le vide…
Gaia-X représente une opportunité pour le faire et il est grand temps de choisir les bons partenaires pour terminer le travail. C’est juste une question de bon sens !