Que penser du nouveau rejeton européen qui consiste à doper la production de semiconducteurs sur le territoire ?
En soi, vouloir pallier une pénurie est une chose indispensable, car cette dernière ralentit la production industrielle et elle contribue aussi à faire grimper l’inflation, ce qui est loin d’être une bonne chose pour notre portefeuille. En revanche on ne peut que sourire quand on voit le montant, fièrement annoncé en grandes pompes par – encore lui – Thierry Breton…
Et il est fier le Breton…
Pour les 43 milliards d’euros que l’Union Européenne compte dépenser pour multiplier par quatre la production de semiconducteurs d’ici à 2030, 11 seulement seront consacré à la recherche et au développement, 2 partira dans un fond supposé booster le développement des startups et les 30 milliards restants seront consacré à la production même. Oui c’est vrai, c’est déjà mieux que rien, mais il est clair qu’avec si peu d’argent consacré dans la R&D, il y a beaucoup de chances que d’ici 2030, les successeurs de Breton pleurnichent tout autant que les officiels actuels, en se rendant compte qu’une fois de plus, ils n’ont rien inventé.
Au moment même où les européens présentent leur nouveau paquet législatif pour le secteur (le Chips Act), les américains présentent quant à eux l‘America Competes Act, qui prévoit un investissement – accrochez-vous bien – de 352 milliards de dollars. Nous allons revenir sur les enjeux de ces sommes, mais notons néanmoins que si l’un décide de réformer un secteur à problème, l’autre en fait de même simultanément, alors que la Chine quant à elle poursuit une certaine constante depuis 2015.
Nous allons néanmoins garder le meilleur pour la fin…
Un poids lourd contre le poids plume, un combat perdu d’avance…
S’il y a bien quelque chose de frappant quand on compare l’un et l’autre, c’est bien la disproportion des deux nations sur l’investissement en R&D…
Alors que du côté européen, seuls 11 milliards d’euros y sont consacrés, du côté américain on lui consacre 300 milliards de dollars sur les 352 au total et c’est bien là que le bas blesse. C’est en soi une erreur purement stratégique car la R&D mène directement à l’innovation. Alors que tout miser sur la production compensera, certes les pénuries que nous subissons de plein fouet, mais cela n’améliore en rien – ou presque rien – les possibilités futures d’avoir des système plus performants, par exemple ceux de pouvoir descendre en dessous de zéro nanomètres (nm) pour la finesse de gravure, voir même d’engager une véritable rupture avec les procédés actuels (pourquoi ne pas éradiquer les semiconducteurs ?). Même si c’est l’ambition affichée, tout démontre qu’avec si peu d’investissements, c’est le côté américain qui va continuer d’inventer les technologies du futur et le pathétique scénario auquel nous avons droit aujourd’hui avec le cloud et les constellation de satellites pour fournir internet, va inévitablement se reproduire. En d’autres termes, nous voudrions être autonome dans tel ou tel domaine, donc nous allons nous contenter tout simplement de refaire ce que d’autres ont fait avant nous.
Mais il ne faut cependant pas perdre de vue que la production, c’est avant tout l’affaire du secteur privé et dans le domaine, il a tous les moyens pour le faire. Si on prend le cas d’Intel par exemple, l’entreprise a annoncé la construction de trois nouvelles usines, au Texas, dans l’Ohio et dans un pays européen (probablement l’Allemagne), respectivement pour 20 milliards de dollars chacunes pour le côté américain et la même somme en euros pour l’autre côté. Mieux encore, la direction a fait part du fait qu’elle serait même disposée à investir jusqu’à 100 milliards de chaque côté de l’atlantique si les conditions suffisantes étaient rassemblées. Donc en bref, l’argent est bien là dans les entreprises, et comme on peut être certain que le marché va exploser dans les 10 prochaines années, les grands acteurs dans le domaine ne seront jamais à court de liquidité…
A l’Est, du nouveau…
De son côté, la Chine pourrait faire aussi la même erreur que les européens. Depuis 2015 (et jusqu’en 2025), elle investit 150 milliards de dollars dans un programme similaire. Mais son appétit féroce pourrait bien la forcer à concentrer tous ses moyens sur la production et délaisser elle aussi la recherche et le développement. Ce qui mettrait une fois de plus les Américains sur la marche la plus haute du podium en termes d’innovation. Mais pour savoir qui sera en tête sur les USA dans le futur, il va falloir aussi compter sur les sud coréens…
Rien que pour la R&D, les entreprises concernées – on se doute que parmi celles-ci figureront Hyundai, Kia, LG, ou encore Samsung – vont consacrer 450 milliards de dollars, d’ici 2030. Ce qui va probablement placer le pays en position de n°1 (du point de vue de l’innovation) sur le marché des puces électroniques. La Corée a par ailleurs évolué de manière conséquente dans le domaine automobile (là où le semi conducteur est le Roi) ces trente dernières années et elle pourrait bien passer devant la Chine comme puissance technologique. A ce propos, si la taille de cette dernière vous impressionne, rappelez-vous qu’un tout petit Etat comme Taïwan peut très largement mettre à mal – en terme technologique – l’empire du milieu (de là les menaces d’invasion actuelles).
Toujours est-il qu’investir dans la matière grise est un pari gagnant que les Etats-Unis font depuis une centaine d’années maintenant. Ils continuent dans cette voie et il ne fait nul doute que ce pari sera encore gagnant dans dix ans. C’est ce que semblent aussi faire les coréens, alors que les officiels européens n’ont pas encore tiré les leçons du passé. Une fois de plus, le conservatisme, l’absence d’une vision d’avenir ambitieuse et des actions sur le court terme vont constituer un handicap certain pour nous. Miser sur une autosuffisance, c’est bien, mais ce n’est pas assez.
En 2030, sur le podium, il n’y aura que trois places…
Je vous laisse deviner qui va sortir en premier lieu ?