Comprendre le monde dans lequel nous vivons n’est pas une chose facile, car il faut bien l’avouer, il avance bien plus vite que nous ne pouvons le définir au quotidien. En d’autres termes, les choses nous dépassent. Nous allons donc essayer comme je vous l’ai promis dans l’introduction d’y voir plus clair …
Tout d’abord, il faut savoir que les gadgets inutiles, produits en grandes séries, n’auront plus ou peu de place dans nos vies dans les prochaines années. Ce que l’on produira de manière industrielle sera de toute autre nature que les babioles manufacturées que l’on produit aujourd’hui. L’industrie va donc devenir de plus en plus technologique et mettre sur le côté un ensemble d’acteurs qui ne pourront plus y jouer un rôle. Après avoir observé précédemment que les médecins généralistes, les psychologues, les avocats, les comptables, les vendeurs et les banquiers allaient devoir sérieusement se remettre en question, nous voici en face du même problème ciblant maintenant une large partie de la population, qui n’est autre que celle des ouvriers d’usine. Et ça se complique encore car, il n’y a plus beaucoup d’issues de secours… Le commerce de proximité par exemple, qui restait jusqu’ici un échappatoire pour ceux qui venaient de perdre leur emploi, ou un rêve professionnel pour d’autres, n’est plus qu’une illusion qui va progressivement disparaître, noyée dans d’innombrables faillites et désenchantements (comme c’est le cas depuis de nombreuses années). A moins cependant de réinventer en permanence l’expérience client. Mais cette faculté n’est pas donnée à tout le monde, d’autant plus qu’il faut les moyens financiers à disposition pour mettre des nouveaux concepts en place.
Vu comme cela, il est clair qu’à ce stade, vous devez probablement me maudire pour avoir choisi un titre aussi déconnecté, pour ce qui paraît être non pas le meilleur, mais bien comme Natacha Polony le dit dans un de ses livres, Le pire des mondes. Je vais cependant vous demander encore un peu de patience, car les choses iront en s’améliorant dans les pages qui suivent. Néanmoins j’ai encore une autre mauvaise nouvelle…
Il va falloir accepter qu’un licenciement est nécessaire, même si cela fait très mal !
Ce n’est pas vraiment évident à accepter dans une société minée par les syndicats, n’est-ce pas ? Pourtant, un licenciement est nécessaire pour que chaque entreprise puisse se tenir à jour et même pouvoir se développer dans le futur… Perdre un emploi n’est jamais grave dans la mesure ou l’on en retrouve un très vite. Le problème prend véritablement forme quand une conjoncture économique ne le permet pas, et c’est déjà malheureusement le cas. Ce le sera davantage encore dans les prochaines années (du moins dans de nombreux secteurs) !
Le cas de la Finlande et peut-être d’autres pays, qui sait ?
La Finlande fut autrefois le berceau européen de la production de papier. Chose logique tout compte fait, si l’on prend en compte les ressources naturelles des pays du nord de l’Europe. “Site de production le plus compétitif, la Finlande attirait à la fois des investisseurs dans le secteur, parce qu’elle avait l’expertise, et les clients de tout le continent, parce qu’elle fournissait un produit d’un bon rapport qualité-prix. Voilà qu’arrive la vague des tablettes et autres iPad, que l’e-mail se substitue au courrier, que les journaux périclitent, que l’industrie du livre pique du nez ; la demande de papier chute. La Finlande se trouve plongée dans de grandes difficultés. Difficultés économiques du fait que le pays était aussi l’un des rares fabricants de téléphones mobiles subsistant en Europe avec Nokia, malmené par l’essor extraordinaire de l’iPhone”10. Et comme François Lenglet, auteur de ces phrases le rappelle, Apple a tué deux fois ce pays qui a encore du mal aujourd’hui à reprendre le dessus par rapport à cet ouragan numérique qui a détruit le peu d’activités économiques (dans la diversité) qu’il avait. Je pose, néanmoins, à chacun la question : Pourriez-vous aujourd’hui vous passer d’une tablette, d’un smartphone ou d’un service d’e-mailing ?
Personnellement pour moi, il n’est pas question de retourner dans un bureau de poste pour envoyer un courrier sous enveloppe. J’ai des choses bien plus intéressantes à faire et de la même façon, de l’argent à consacrer à des choses beaucoup plus importantes que celles d’acheter une enveloppe, un timbre ou une feuille de papier. Je ne suis plus du tout décidé à consacrer du temps à devoir me déplacer pour aller déposer un courrier dans une boîte aux lettres. Quant à Nokia, qui fut en son temps un “must” en terme de téléphonie mobile, aujourd’hui, avons-nous réellement envie de retourner dans un monde dans lequel nous n’avions jamais qu’un simple téléphone mobile dans notre poche ? Néanmoins les dirigeants de Nokia ainsi que ceux d’Ericsson ont su relever la barre progressivement et aujourd’hui se positionnent comme des acteurs de premier plan dans le secteur de l’installation et de gestions des infrastructures de téléphonie mobile. Notamment pour le développement des réseaux 5G (et on peut s’en douter, des générations qui vont suivre).
Mais admettons-le, revenir au téléphone mobile non smart, serait un peu comme revenir à un ordinateur qui n’est pas connecté à Internet. Pouvons-nous finalement en vouloir à Steve Jobs, génial patron d’Apple, qui a repoussé les limites de nos désirs en nous amenant à consommer des produits dont nous n’étions pas capables de soupçonner leur utilité ? Ou plutôt, devrions-nous blâmer les autorités et les entreprises finlandaises pour ne pas avoir vu venir un vent qu’il était de toute façon impossible de voir venir, ou sinon très tardivement ?
Cette situation n’est pas sans rappeler certaines régions du sud de la Belgique et du nord de la France qui constituaient à la fin du XIX° siècle, un bassin très fertile pour l’exploitation du charbon et la reconversion des métaux – métallurgie (presque) disparue aujourd’hui, tout comme les mines de charbon d’ailleurs (du moins dans ces régions). Le problème est que ces régions ne se sont toujours pas véritablement remises complètement du déclin dont elles ont été victimes au tournant des années 1960. Il reste à espérer qu’il n’en sera pas de même pour la Finlande. Cette dernière fut l’une des premières victimes de la dématérialisation généralisée, générée par la troisième révolution industrielle. Et ne vous y trompez pas, celle-ci intervient à tous les échelons quels qu’il soient : dans l’industrie, dans les administrations (même si ces dernières déploient tous les freins possibles pour ralentir les choses) et surtout, bien entendu dans nos vies privées.
Comprendre l’effet 2008 et l’importance pour une entreprise de se remettre en question.
Le véritable enjeu est de pouvoir se retourner très vite et c’est notre point faible en Europe. Nous n’en avons ni les capacités et surtout ni même… l’envie. Il faut absolument que nous apprenions à lutter contre cette idée trop bien ancrée, qui veut que le licenciement d’un employé est néfaste à l’individu. Un licenciement n’est pas néfaste car il est le signe d’une remise en question indispensable de l’entreprise qui lui donne congé. Et si les entreprises finlandaises s’étaient remises en question beaucoup plus tôt, elles n’auraient probablement pas vécu des moments aussi difficiles. Le pays aurait donc opéré sa transition dans l’ère numérique moins péniblement. Rappelons-nous que le véritable problème de notre société réside dans la pénurie d’emplois sur le marché et non le contraire. Les temps changent et une entreprise qui n’envisage pas le futur, comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin, est tout simplement vouée à sa disparition. Par ailleurs, la complexité pour celles-ci de licencier des employés (c’est avant tout le cas au sein de l’UE), génère elle-même la rareté de l’emploi. Aussi lorsqu’une grosse structure licencie en masse, on peut souvent entendre : “Les actionnaires font des bénéfices et il envoient les salariés à la rue !”. Soyons honnêtes, vous même, n’allez pas mettre vos épargnes dans des placements qui ne vous rapportent pas et de plus que vous risquez de perdre à n’importe quel moment. Il serait bon aussi de rappeler que dans la plupart des cas (pour les grosses structures), sans actionnariat l’entreprise n’existe tout simplement pas. Le fait que “les entreprises licencient est regrettable mais c’est parfois nécessaire pour qu’elles se transforment et s’adaptent, soit à une conjoncture déprimée, soit à la concurrence, soit encore à une révolution technologique. Les exploitants de diligences ne pouvaient pas survivre à l’extension du réseau ferré, même en attelant huit chevaux au lieu de quatre. Les cochers ont donc perdu leur travail…11“.
Aujourd’hui, il y a principalement quatre raisons pour lesquelles les emplois disparaissent : la robotisation (physique), la robotisation numérique, la rupture et la remise en question interne de l’entreprise… J’en rajouterai néanmoins une qui est d’une ampleur, on ne peut plus importante… l’effet 2008 !
L’effet 2008, c’est ce moment dans l’histoire où le monde choisit par lui-même de partir dans une nouvelle direction, car il en a d’une part les moyens technologiques et techniques, mais aussi parce qu’il a envie de travailler avec d’autres partenaires, alors qu’il n’est plus du tout satisfait de ceux avec qui il travaillait.
Avant d’observer différents cas d’entreprises qui ne se sont pas remises en question lorsque le moment était venu de le faire, nous allons nous pencher sur le cas d’IBM et surtout sur l’importance que prend l’économie collaborative avec le temps. IBM est un exemple emblématique d’entreprise qui a dû passer par de sévères phases de remise en question. Elle fut fondée en 1911, alors que la seconde révolution industrielle était en train de s’épanouir avec le développement constant de l’électricité, de l’automobile et du téléphone. Dans les années 70 et 80, IBM était la société qui avait la plus grosse capitalisation au monde. On lui doit diverses inventions et notamment trois principales – et non les moindres – le disque dur, le PC et le smartphone. Malheureusement en 1987, ses dirigeants prennent une décision critique : celle d’adopter un cloisonnement du système informatique tel que Apple le fait avec le Macintosh. Alors que jusqu’ici le système était ouvert, comme c’est le cas encore aujourd’hui pour tous les PC. Si toutefois Apple a su imposer un système fermé, sous l’impulsion de Steve Jobs, ce qui a réussi à la marque à la pomme, n’a vraisemblablement pas réussi à IBM. A l’époque, l’entreprise New-Yorkaise entrait non seulement en concurrence directe avec un Apple, déjà bien établi dans son secteur, mais elle perdait aussi sa position de leader sur le marché. De plus elle laissait non seulement la place à ses principaux concurrents, mais aussi et surtout aux concurrents secondaires : les clones. Ce qui va l’amener en 1993 à afficher des pertes considérables qui atteindront 8 milliards de dollars12. La somme ne représente peut être plus grand chose aujourd’hui, vu les montants que les grosses entreprises enregistrent en termes de capitalisation boursière, mais néanmoins IBM, à chaque moment de difficulté arrive à s’adapter à la situation, en revendant ce qui ne marche pas et en licenciant dans les secteurs à risque.
Beaucoup vont me dire, oui mais ce n’est pas bien !
C’est vrai, vous auriez raison de me le rappeler, mais aujourd’hui IBM est encore sur pied et a posé depuis longtemps des bases solides pour rester debout. Ce n’est pas le cas de nombreux colosses économiques qui pouvaient se permettre dans les années 90 de jouer les fiers à bras.
Poursuivons…
Dans les années 2000, IBM s’engage fermement dans le projet Linux, en y injectant plus d’un milliard de dollars (Microsoft fera la même chose par après, avec Open AI), ce qui montre aussi une ouverture d’esprit formidable sur le potentiel de l’Open Source (ce qui profite à tout le monde). En 2005, l’entreprise réalise que la fabrication des PC n’est plus désormais un marché d’avenir et le revend au chinois Lenovo. En 2007, elle se lance dans un vaste programme d’intelligence artificielle avec le célèbre Watson, qui aujourd’hui est entre autres utilisé dans le dépistage des cancers et des tumeurs (ce qui encore une fois profite à tout le monde). En 2015, IBM diversifie les horizons avec notamment le rachat de Weather Channel et se lance dans la vidéo en direct. Aujourd’hui, ses activités sont majoritairement orientées vers les services. Le Cloud Computing viendra, sans surprise, ajouter une pierre à l’édifice et constitue aujourd’hui l’une des principales activités de l’entreprise. La fabrication de matériel ne représente plus qu’une infime partie de ses activités (un peu moins de 10%). Mieux encore, ses ingénieurs viennent de réaliser la prouesse d’une finesse de gravure d’une puce électronique de 2 nm (nanomètre) alors que ses concurrents, pourtant historiques comme TSMC (Taiwan Semiconductor Corporation) ou Intel en sont encore, à l’heure où j’écris ces lignes, très loin. Respectivement le premier arrive à une finesse de gravure de 5 nm et le second – pourtant une légende dans le domaine des microprocesseurs – arrive péniblement à 7 nm. Faisons néanmoins une petite parenthèse par rapport à Intel qui a annoncé (en 2021 et 2022) des investissements massifs dans des nouvelles infrastructures de production aux Etats-Unis (40 milliards de dollars) et en Europe (80 milliards de dollars). Ce qui pourrait bien entendu changer la donne…
Quant à elle, à la fin de l’année 2021, IBM a annoncé qu’elle serait bientôt en mesure d’augmenter considérablement le temps d’autonomie des batteries et de diminuer de la même manière, tout aussi drastiquement le temps de recharge de celles-ci (par un système de superposition verticale – et non plus horizontale – des transistors contenus dans les puces).
Il est aussi fascinant de voir avec quelle discrétion l’entreprise évolue sur le marché et va même jusqu’à scinder ses activités en deux entreprises distinctes. Il s’agit probablement d’éviter de se mettre sur le devant de la scène – principalement par rapport aux GAFAM – mais aussi d’échapper à d’éventuelles menaces de démantèlement. Ce qui est très perspicace de la part du géant New Yorkais, surtout lorsque l’on mesure l’ampleur de son importance en termes d’Intelligence Artificielle et de développement dans les semiconducteurs, un secteur crucial en ce début de XXI°siècle.
Bref, nous ferions mieux de prendre exemple sur IBM et d’en tirer les conclusions nécessaires… Ce dinosaure de l’informatique est encore là parce qu’il a été capable de s’adapter aux temps. Le prix est parfois lourd à payer dans le cadre d’une adaptation, mais remarquez les principales orientations que la société a prises : l’Open source, les semiconducteurs, l’intelligence artificielle, le Cloud et la vidéo en direct. Coup du sort lorsque l’on sait que la société a été mise en péril parce que ses dirigeants ont voulu se renfermer sur eux même et par-dessus tout protéger leurs produits, à une époque dans laquelle l’ouverture est devenue inévitable. IBM comme Google et bien d’autres, ont compris que donner aux gens la possibilité de faire de la vidéo est bien plus important que le fait de vendre une caméra (ce que certains n’ont quant à eux, pas vraiment compris).
Avant d’observer les mauvais élèves – ceux qui ne se sont pas remis en question – il convient de faire une parenthèse sur l’importance du secteur collaboratif et bien entendu sur celui de l’Open Source, qui atteint même aujourd’hui le déploiement de la 5G. Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce que des entreprises comme IBM ou Microsoft se soient lancées dans l’aventure. Certains me contrediront certainement, mais l’économie collaborative (telle qu’elle est perçue par Rifkin et non comme le conçoit l’UE, qui englobe aussi les plateformes fournissant des services commerciaux) peut se résumer en deux grandes tendances (jusqu’ici du moins, mais les choses pourraient encore changer) : le crowdfunding (financement participatif) et le crowdsourcing (informations fournies par la Multitude). Donc d’un côté, la Multitude met son patrimoine financier à disposition pour participer à différents projets via des plateformes centralisées, qu’ils soient d’ordre commerciaux, utopiques ou publics. De l’autre côté, elle lui donne son patrimoine intellectuel. Elle engage donc une collaboration d’un individu dans un projet commun dont il n’est pas lui-même l’auteur, ni même le titulaire.
La récolte de fonds groupée par des particuliers s’est rapidement développée après la crise de 2008. Les banques ralentissant fortement l’octroi des prêts, aux jeunes entrepreneurs et aux particuliers, des startups se sont créées pour assurer une collecte de fonds pour financer des projets d’entreprises ou de micro-entreprises. Dans son rapport 2015/2016, l’observatoire Crowd Expert.com évaluait le montant total des sommes prêtées à 34 milliards de dollars13. Nous verrons ce que cela donne dans quelques années, mais s’il vous arrive de poser la question aux personnes de votre entourage, faites cependant attention à ceux que vous interrogerez sur son avenir. Car il semble clair que si vous demandez l’avis d’un banquier sur le sujet, ce dernier ne sera pas très optimiste sur la question.
Un autre aspect de l’économie collaborative réside dans la diminution des coûts. Le Crowdsourcing actif, fait appel à un investissement intellectuel personnel d’un individu dans le cadre d’un projet collectif et constitue surtout un élément qui est aussi très cher à Jeremy Rifkin, à savoir la société du coût marginal zéro. Nous pouvons parmi beaucoup d’autres, citer l’emblématique Wikipedia – qui concentre aujourd’hui des millions d’articles – ou encore Open Street Map qui invite chacun de nous à mettre à jour ou à enrichir des cartes géographiques dans le monde entier.
Les appels à la foule sont même parfois orchestrés par de hautes institutions comme la NASA, par exemple avec son projet Stardust@home. Ou encore par des chercheurs de l’université d’Oxford, qui ont convaincu 100 000 personnes, dans 150 pays, d’offrir chacun un temps d’ordinateur pour affiner les modèles de prévision climatique »14. La NASA qui ouvre par ailleurs régulièrement la porte aux meilleures idées, notamment pour améliorer les futurs robots qui préparent le terrain pour l’arrivée de l’homme sur la Lune et sur Mars. Mieux encore, en juin 2013, Elon Musk, le patron de Tesla annonçait l’ouverture au public des brevets détenus par ses entreprises, en invitant le monde entier à les améliorer et à les utiliser15. En janvier 2015, Toyota faisait de même avec 5,600 de ses brevets. Et en juin de la même année, l’américain Ford en faisait tout autant avec 650 brevets. La démarche n’est bien sûr pas désintéressée, car les constructeurs espèrent faire avancer leurs recherches sans devoir passer par de coûteux ingénieurs ou chercheurs et d’être obligés de payer des sommes importantes pour protéger leurs idées (et c’est justement sur ce point que l’hypothèse de Rifkin devient intéressante). Si la protection intellectuelle est rejetée par les industriels eux-même, c’est un des piliers du capitalisme du XX°siècle qui est en train de s’effondrer (et encore une fois, une source de revenus juteuse pour les différents gouvernements de par le monde, qui disparaît) et de ce fait un pas de plus vers le collaboratif. David Fayon dans son ouvrage Made in Silicon Valley : Du numérique en Amérique, remarque que si le brevet porte en lui l’avantage de protéger, le processus est néanmoins très long et contraignant. Il requiert entre autres choses, l’intervention de juristes. En revanche travailler avec un système ouvert « permet de drainer un écosystème autour et de diffuser rapidement de la technologie étant donné le raccourcissement des cycles dans l’innovation »16. Une remarque qu’il est nécessaire de faire néanmoins à ce propos, est que la générosité dont a fait preuve le secteur automobile (en termes de brevets) n’a pas eu autant de succès dans le secteur pharmaceutique en 2021, lors des vagues massives de vaccination contre le COVID 19, bien au contraire.
« Chacun a senti, depuis l’aventure Wikipedia et avant même les succès de YouTube, FlickR ou Twitter, à quel point il était plus confortable de capter des contenus générés et partagés par des utilisateurs plutôt que de payer des équipes chargées de créer ces contenus [ ] Quand Amazon revendique 40% de ses ventes grâce à son moteur de recommandation, et quand Netflix en revendique 60%, ces entreprises s’approprient une valeur construite sur l’analyse intelligente des traces d’utilisation laissées par des millions d’utilisateurs »17.
Certains affirment que nous travaillons en permanence pour les géants du numérique, mais en réalité, j’ai la ferme conviction que c’est pour une forme certaine d’amélioration de ma vie que je travaille quand j’évalue un livre sur Amazon. Néanmoins, c’est celui qui a compris que le futur appartient aux internautes qui fera avancer le monde et non l’inverse. Beaucoup devraient en tirer les leçons…
Les mauvais élèves…
Une entreprise qui n’arrive pas à s’imaginer dans le futur et qui ne se remet pas en question est une entreprise qui est vouée tout simplement à sa perte. Ce fut le cas de Kodak, qui a été contraint de déposer le bilan en 2012. Chose exceptionnelle pour une entreprise qui est née en 1881, seulement quelques années après l’apparition de la photographie, et qui de plus a permis à Thomas Edison de fabriquer la toute première caméra en 1891. Mais ce qui est le plus étonnant c’est que Kodak a aussi inventé la photographie numérique, mais n’a pas cru en sa propre invention. En 1975, Steven Sasson montre au conseil d’administration de Kodak son invention… La photographie numérique… La réaction est alors unanime : « Personne ne regardera jamais des images sur un écran ! »18.
Combien d’entre nous croyons cela aujourd’hui ?
Le problème, c’est que cette vision bornée, archaïque, voire complètement réactionnaire est devenue la culture d’entreprise chez Kodak. Ce qui est absolument sidérant dans ce cas, c’est l’attachement forcené au papier ou à l’objet matériel. Des photos papier, oui, mais cela avait aussi son coût pour le client. Le développement coûtait cher et de plus, nécessitait soit des albums pour les ranger, soit des cadres pour les exposer (à défaut une simple boîte de chaussures que l’on ressortait de temps en temps). Sans compter les déplacements nécessaires pour le développement. Des développements qui se résumaient souvent à de nombreux échecs. Le véritable problème de Kodak était là et si vous voulez un bon indice pour évaluer l’avenir, c’est sur ce point qu’il faut pointer le doigt :
Si un quelconque objet coûte de l’argent, dites-vous que tôt ou tard, ce produit va être profondément remis en question par l’univers numérique, tout simplement parce que cela paralyse celui qui paye. En d’autres termes, détruisez tout ce qui coûte de l’argent et vous deviendrez probablement riche et c’est probablement cela, le véritable troisième esprit du capitalisme !
Smartphone, oh, mon smartphone…
C’est le smartphone qui a définitivement mis à terre le secteur de la photographie argentique. L’erreur majeure de kodak a été de refuser le fait que la photo, non seulement se regarderait sur un écran, mais surtout se partagerait. Et c’est justement ce même partage qui s’est transformé en une véritable nouvelle économie. Pour ceux qui croient encore que Steve Jobs, n’a rien inventé (et oui, il y en a encore et ces derniers se trompent … ), ce que l’on appelle aujourd’hui l’économie du partage a véritablement explosé avec l’apparition d’un simple téléphone mobile amélioré.
Kodak a aussi commis une autre erreur fondamentale, car dans un cadre de reprise tardive – peut être trop tardive – l’américain a recentré ses activités sur la production… d’appareils photographiques. Que penser du fait d’arriver sur un marché, déjà saturé, alors que l’avenir de l’appareil photo n’est plus l’appareil photo lui-même, mais bien le smartphone, les lunettes en réalité augmentée, la télévision ou même le cerveau. N’aurait-il pas été plus judicieux de chercher un moyen de créer une rupture et de proposer des applications photographiques ou des outils à intégrer aux smartphones qui surpassent la qualité de ce qui existe dans le domaine. Ce qu’en somme Apple ou le chinois Huawei font de nos jours très bien. Kodak disposait pourtant des infrastructures, tant physiques, qu’intellectuelles pour se lancer dans l’aventure et par conséquent rester dans la course, mais malheureusement même les tentatives de pouvoir continuer à vivre dans le monde numérique (production de smartphone ainsi que le lancement d’une crypto monnaie) n’ont pas suffit. L’entreprise existe encore, mais à l’heure actuelle, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle à été. Sa réorientation dans des techniques de pointe en 2015 ne pourra cependant rien y faire si l’esprit de l’entreprise est resté le même.
Le malheur de Kodak est finalement aussi celui des services postaux :
“L’internet a peu ou prou tué le courrier traditionnel sous enveloppe. Mais il a, en revanche, fait exploser le business du transport et de la livraison de colis, avec l’essor du commerce en ligne. En bonne logique, La Poste aurait dû récupérer avec les paquets ce qu’elle a perdu avec les enveloppes, et en faire ses choux gras. Mais c’est ici qu’intervient l’immobilisme des organisations, quelles qu’elles soient – surtout s’il s’agit d’un service public, qui se pense universel et intangible ? Car l’entreprise postale s’est concentrée sur l’activité en déclin pour tenter d’en retarder la chute, et n’a pas mobilisé suffisamment d’énergie pour se redéployer aussitôt sur les activités en croissance, de surcroît ouvertes à la concurrence privée”19.
Toys”R”Us et la promesse d’un pignon sur rue désormais obsolète !
Le cas de Toys »R »Us est tout aussi emblématique. En mars 2018, c’est la faillite d’un des plus gros distributeurs de jouets dans le monde, qui est annoncée. L’entreprise ferme 735 surfaces aux Etats-Unis, ce qui touche 33,000 employés. Pire encore, les 800 magasins répartis dans une quarantaine de pays sont aussi entraînés dans la tourmente. En cause, la distribution en ligne, bien entendu, mais pas seulement. En 2016, c’est vrai, la jeune entreprise Amazon détenait déjà 16,3 % du marché alors que Toys « R » Us, créé en 1948, n’en détenait plus que 13,6 %20. Mais les raisons de cette fermeture sont amplement plus diverses. N’oublions pas le changement de comportement des consommateurs par rapport à l’achat. Celui qui consiste entre autres à ne plus acheter de superflu (même si c’est moins le cas aux USA qu’en Europe). D’autre part, la volonté généralisée de rentrer dans une logique durable, en particulier en n’achetant plus des gadgets en plastique fragiles, qui vont de toute façon finir à la poubelle. Ce qui, on peut le dire, abondaient dans les rayons de la chaîne. Ensuite le fait que les possibilités d’échange de produits sur internet sont aujourd’hui plus développées, via E-Bay ou Le bon coin.fr ou les différents groupes qui se développent à grande allure sur Facebook par exemple, voire parfois dans l’échange gratuit. Enfin on doit aussi tenir compte du remplacement des jouets par de nombreuses applications numériques. Sur ce dernier point il est important de souligner que l’outil numérique arrive de plus en plus tôt dans les mains d’un enfant. Celui-ci va donc logiquement délaisser les jouets physiques plus rapidement. Ils ont de ce fait une durée d’utilisation moindre et peuvent être remis plus vite dans le circuit de la vente de produits de seconde main (forcément en très bon état).
La faillite du numéro deux de la vente de livres aux Etats-Unis, Borders en février 2011 aurait dû être un signal d’alarme auquel il fallait prêter attention. Amazon ou qui que soit d’autre aura désormais toujours raison sur une entreprise qui doit supporter les coûts liés à une enseigne qui a pignon sur rue (sauf si ces surfaces deviennent des points de proximité pour faire de la livraison express comme c’est le cas pour une entreprise comme Walmart, voire même Amazon avec le déploiement de ses magasins). La chaîne Blockbuster LLC, qui était spécialisée dans la location de DVD, a dû elle aussi fermer ses magasins en 2014. Pourtant dans ses meilleurs moments, en 2004 elle employait presque 85.000 personnes dans un peu plus de 9.000 stations. Bien entendu, la dématérialisation du produit culturel en est la première cause, mais ce qui est très remarquable c‘est la manière dont Netflix a survécu, malgré le fait qu’elle aussi aurait très bien pu tomber à la même époque. Rappelons que Netflix était aussi une entreprise de location (via la poste US) de DVD, mais très tôt ses dirigeants avaient compris que le monde changeait. Ou plutôt n’ont-il eu d’autres choix que de se résigner à ce changement, et d’en faire un point de force. Vous ne le savez peut-être pas mais Reed Hastings, le cofondateur de Netflix avait en 2000, proposé à John Antioco, le patron de Blockbuster, de racheter sa société pour la somme de 50 millions de dollars. Ce dernier a refusé. Plus intéressant encore, Hastings lui avait aussi proposé que Netflix devienne la vitrine en ligne du géant de la location de vidéo et ici encore, refus absolu. La suite, nous la connaissons…
L’entreprise américaine est arrivée dans beaucoup de foyers, dans la plupart des pays du monde (exception faite de la Chine, de la Corée du Nord, de la Syrie et de la Crimée), alors qu’auparavant, on n’en entendait guère parler en dehors des USA. Mais en plus, elle est entrée en compétition directe avec les majors Hollywoodiens. Une grande partie des Oscars décernés en mars 2022 ont été avalés, par ailleurs, par les grandes plateformes de streaming. Vous comprenez peut-être mieux, maintenant mes propos ci-dessus ? Il n’y a peut-être rien de plus destructeur qu’un esprit qui s’imagine, comme le dit François Lenglet, universel et intangible ! Il va bien falloir l’accepter, le fleuron éphémère industriel de nombre de pays tente de rester dans une course qui a commencé à la fin du XIX°siècle et s‘est terminée en 2008. De fait, il n’y restera plus vraiment longtemps s’il refuse de se remettre en question.
Une jeune génération – celle de Greta Tunberg – va progressivement prendre le dessus et sans cesse œuvrer dans le développement de moyens engageant une rupture avec les modèles économiques et politiques actuels.
Ce que ne fera jamais l’économie traditionnelle (dans sa globalité), c’est d’envisager une rupture intégrale avec son propre modèle économique, et c’est probablement la plus grande de ses failles. Cela au vu, bien entendu, des gigantesques infrastructures physiques que celle-ci a mises en place et pour lesquelles elle a dû débourser des sommes importantes. Pourtant ces dernières devraient commencer à envisager un Master Plan pour s’adapter au futur à long terme, car cette décennie que nous venons à peine d’entamer va leur procurer quelques (mauvaises) surprises. Dans les prochaines années, l’industrie traditionnelle va devoir envisager une sérieuse reconversion de ses activités et il y a beaucoup de chance que cela se fasse de manière radicale. Soit par la vente des infrastructures existantes, soit par des licenciements de masse et même parfois les deux. Exactement comme cela s’est passé dans le monde de la métallurgie ces dernières années. Et nous savons tous que ces options n’ont pas la préférence politique, puisqu’elles bousculent la stabilité économique et sociale. Cet immobilisme à la fois industriel et politique fait que ces deux entités auront toujours une longueur de retard par rapport à de très petites entreprises qui n’ont même pas besoin d’infrastructures physiques pour se développer. Un seul ordinateur et un cerveau brillant suffisent dans ce monde nouveau pour bousculer des géants qui découvrent comme Toy »R »Us, Kodak, Borders ou Blockbuster – bien trop tard – que leurs pieds ne sont faits malheureusement que d’argile. Des entreprises numériques de renom comme Apple ou Facebook se sont souvent construites dans des garages, à la maison ou dans des chambres universitaires… Il en existe malheureusement trop peu de ce type dans l’UE !
La plateforme numérique, employeur numéro 1 du futur…
Que vous soyez ingénieur, artiste, médecin, avocat ou plombier, la plateforme numérique pourrait très bien remplacer votre employeur dans un avenir proche. La bonne nouvelle est que tout le monde (ou presque) pourrait y trouver sa place. Terminé les CV et les interminables recherches ou entretiens d’embauche et le lot de frustrations qu’elles apportent (nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre entreprise, cependant nous ne pouvons donner des suites positives à celui-ci. Nous vous souhaitons néanmoins bonne chance dans vos recherches, bla bla bla, etc). En quelques clics seulement, vous êtes inscrits dans un secteur d’activité pour proposer vos services. Si vous êtes un professionnel dans un type de métier où il est nécessaire de construire sa clientèle petit à petit, vous connaissez probablement le luxe que cela représente… Un concepteur d’application va donc pouvoir mettre en vente ses créations sur des plateformes telles que l’Apple Store ou le Windows Store. Un concepteur de jeux vidéo sur le Playstation Store. Un chauffeur va mettre sa voiture à disposition pour véhiculer des gens sur Uber. Un enseignant peut donner des cours particuliers via des plateformes comme KARTABLE.fr, Superprof ou Chegg. Un plombier, un bricoleur ou un électricien va pouvoir travailler par l’intermédiaire de plateformes telles que TaskRabbit ou Amazon Home Services qui offrent des services divers de réparations, d’améliorations ou d’entretien pour la maison. Amazon vous livre aujourd’hui à peu près tout ce dont vous avez besoin devant votre porte, y compris vos courses de la semaine, mais demain, elle trouvera aussi une solution à tous vos problèmes immobiliers (attention à la suite) ou mobiliers. D’un autre côté, si vous avez besoin de vous faire livrer un repas, Uber Eat ou Deliveroo vous rendent ce service (si du moins les pouvoirs publics ne font pas tout pour les détruire). Et, cerise sur le gâteau, c’est que si vous possédez quelque chose, vous pouvez aussi gagner de l’argent avec votre bien (bien entendu, si les autorités vous en octroient le droit). Des objets, un savoir faire, des vêtements ou bien encore une maison avec AirbnB. Pour le moment, les choses sont encore un peu confuses car un nouveau système est en train de se mettre en place. C’est surtout le cas pour les créateurs de contenus qui perpétuent, aujourd’hui sur le Web, la malédiction des nombreux artistes qui ont traversé l’histoire. Mais il semble évident que les plus grosses entreprises technologiques vont, d’ici les années qui viennent, clarifier cette confusion. Facebook en lançant sa Newsletter aux Etats-Unis a par ailleurs annoncé que les recettes seraient intégralement reversées aux rédacteurs web. Ce qui démontre que la tendance actuelle bascule légèrement de l’autre côté.
En allant encore un peu plus loin, il est à peu près certain que notre manière de vivre (dans notre intérieur personnel) subira des modifications majeures. Moins nous avons en effet, de choses précieuses dans notre intérieur, plus nous sommes aptes à les laisser dans les mains d’inconnus. Plus le phénomène AirBnB (et pourquoi pas Apple, Facebook ou Microsoft – le télétravail aidant) s’étendra, plus il semble logique que notre habitation et ce qui la meuble sera adapté à ce mode de vie, inévitablement plus épuré. Dans cette optique, il semble donc logique que l’objet va perdre de la valeur. L’année 2021, nous a par ailleurs démontré que des sommes folles pouvaient être dépensée pour l’achat de terrains virtuels et autres oeuvres quelconques sous forme de NFT (Non Fugible Tokens). Les gadgets physiques inutiles auront probablement moins de place dans le futur, ne serait-ce que par le fait du glissement de notre pouvoir d’achat dans l’univers numérique. Nous serons donc aussi et inévitablement par défaut, de plus en plus incités à utiliser les écosystèmes d’une famille d’entreprises précises, plutôt que d’utiliser de manière disparate les nombreux services et produits offerts par les grandes entreprises technologiques. Bref, nous serons Apple ou nous serons Alphabet. Nous serons Meta ou nous seront Microsoft, LG ou Samsung et ainsi de suite…
Alexa lorsque vous lui demanderez par exemple, de vous chercher un plombier et de l’appeler pour qu’il vienne réparer un problème technique pour votre maison, ira directement vers quelqu’un qui fait partie de la communauté Amazon et certainement pas (extrapolons un peu) dans une potentielle communauté Apple. Mieux encore, Amazon pourrait livrer les pièces dont ce prestataire a besoin au moment même de son intervention sur place. Des pièces qui seront livrées en un temps record par des drones qui ne sont pas soumis à des contraintes humaines et plus particulièrement celles liées à des embouteillages. C’est facile pour le plombier, c’est facile pour le client, c’est facile pour… Amazon. Et tant pis pour celui qui n’aura pas eu le courage de voir la réalité en face ! Si par ailleurs, Amazon se rue sur le secteur de la grande distribution, notamment avec l’achat de la chaîne Whole Food et le déploiement des magasins Amazon Go, ce n’est pas un hasard. Il s’agit justement de pouvoir disposer de mini centres de distribution, à proximité des clients. Le but étant d’accomplir l’objectif suprême de la livraison désirée à la minute prêt en un temps record. Une solide prouesse technique et technologique poursuivie par l’entreprise de Seattle qui est aujourd’hui sur le point de devenir une réalité. La livraison par drones est d’ailleurs déjà, elle aussi une réalité (bien qu’Amazon ait fait un peu marche arrière dans le domaine, au Royaume-Uni, en plein milieu de l’année 2021). Google (Wing) en partenariat avec FedEx et la chaîne de pharmacies Walgreens effectuent déjà depuis longtemps, dans un cadre commercial (et non plus expérimental) des livraisons chez des particuliers, entre autres dans la ville de Christiansburg en Virginie. L’entreprise a aussi été obligée de suspendre son service dans certaines régions australiennes suite à l’attaque des drones – phénomène naturel oblige – par des corbeaux. Vu les mutations technologiques qui s’effectuent dans le domaine de la grande distribution (notamment chez Wall Mart et Carrefour), on peut s’attendre dans l’avenir à pouvoir être livré à domicile dans des délais très courts (moins d’une heure) et de pouvoir disposer d’une gamme inimaginable de produits, à partir de chez soi, en un seul click.
Certains d’entre-vous ressentent peut-être un frisson dans le dos en lisant ces lignes, mais rendez-vous compte avant toute chose de l’intelligence développée derrière l’entreprise de Jeff Bezos et des gains de temps et d’argent dont les consommateurs vont pouvoir directement bénéficier. Centre de la maison avec Alexa, fournisseur IOT, fournisseur de services, médecin, livreur d’à peu près tout ce dont vous avez besoin, fournisseur internet, fournisseur d’espaces de stockage de vos données, social security provider et aussi entrepreneur de futures colonies spatiales… Jeff Bezos est vraisemblablement l’un des visionnaires le plus génial de tous les temps. Lui (il se consacre désormais à la conquête spatiale et à sa fondation philanthropique) et ses collaborateurs mettent en ce moment sur pied un système dans lequel vous pourrez vivre en complète autonomie grâce à ses entreprises.
De manière générale, mettez un instant de côté, l’impact que de telles possibilités pourraient avoir sur le paysage économique traditionnel et essayez de voir l’Ubérisation comme une véritable carte bonus pour la plupart des habitants de cette planète. Beaucoup de choses semblent montrer que nous ne verrions finalement dans la généralisation des contacts professionnels, via des plateformes numériques, qu’une pure et simple amélioration de notre quotidien.
La question est maintenant de savoir à qui cela pose-t-il finalement un problème ?
John Lennon aurait probablement été heureux de vivre aujourd’hui et dans les vingt prochaines années, car nous avons enfin dépassé le cap de la possession. Aujourd’hui avoir accès est plus important que de posséder. Et pour ceux qui possèdent, ils peuvent en faire profiter les autres. Savoir si Amazon ou Uber sont nos amis ou nos ennemis n’est pas, à mon sens, la bonne question à se poser. Le fait est que ce sont eux nos « employeurs du futur » et un employeur n’est jamais votre meilleur ami. Le travail c’est simplement une collaboration temporaire et j’insiste sur le terme, et les règles de cette dernière doivent être les plus claires possibles pour que la collaboration se passe aussi, le mieux possible. Si les règles ne sont pas respectées, la collaboration s’arrête et il faut alors passer à autre chose. N’est-il donc pas plus intéressant de percevoir la plateforme numérique, comme une opportunité au travers de laquelle nous ne devons plus nous occuper de chercher un emploi ? L’auto Marketing n’est plus notre affaire, désormais – et ce sera encore un peu plus le cas dans le futur – tout nous tombe tout cuit (ou presque) dans les mains.
N’est ce pas le confort dont nous avons toujours rêvé ?
Il reste quand même à régler une question de taille : celle des emplois dits précaires que nous offrent ces entreprises du numérique. Beaucoup de gens en Europe considèrent que ces emplois ne sont pas suffisants que pour faire vivre quelqu’un décemment. Mais encore récemment, l’Union Européenne, cédant on peut le croire au lobby des taxis et à la pression des différents gouvernements européens a reconnu Uber comme un service de transport à la personne et non comme un service en ligne. Avec comme conséquence de faire grimper le prix de la course pour Uber. En Angleterre, à Genève et désormais aux Pays-Bas, Uber – y compris pour son service Uber Eats – est forcé de salarier les chauffeurs qui s’inscrivent sur la plateforme. En France, si vous voulez devenir chauffeur Uber, il vous faut avant tout passer par une montagne de formalités administratives (et forcément mettre la main au portefeuille), alors que dans des pays comme les Etats-Unis, il ne faut qu’une simple inscription sur la plateforme pour offrir vos services comme chauffeur ou comme livreur. Le problème n’est-il pas là ? Outre Atlantique (quoique les démocrates de Californie tentent d’inverser la balance) et dans nombre de pays, le chauffeur Uber est tenu de déclarer ses revenus – à ses propres risques s’il ne le fait pas – mais il n’est pas obligé d’adopter un statut de travailleur indépendant pour autant. Avec, bien entendu, toutes les charges que cela comporte. Aussi, il est fréquent qu’un chauffeur Uber soit un étudiant qui essaie tout simplement de joindre les deux bouts en trouvant un complément pour financer ses études. Il importe donc de s’interroger sur la nature même du terme précarité… Tout d’abord, quelqu’un qui gagne sa vie et qui peut se couvrir avec une assurance maladie (en dehors du système établi) n’est pas forcément dans la précarité. Ensuite il est entièrement légitime de s’interroger sur le fait que l’environnement administratif, législatif et fiscal puisse aussi être un moteur de précarité. Il va de soi que plus une conjoncture est rendue difficile par l’environnement administratif, moins les travailleurs indépendants ont des clients et donc de revenus. Mais quoiqu’il en soit, les administrations, qu’elles le veuillent ou non, seront tôt ou tard confrontées à la réalité d’un marché de l’emploi très différent de celui que l’on connaît aujourd’hui et n’auront d’autres choix que de s’y résigner.
Karl Marx va devoir quitter les universités françaises et prendre sa place au musée et il est clair que cela va faire beaucoup de mécontents….
La fin du petit commerce, mais pas du circuit court…
Si on peut prévoir à moyen terme la mort du petit commerce physique (retail) – à l’exception peut-être de ceux qui offrent une expérience exceptionnelle au client – pour être réinventé dans le monde numérique, comme le démontre l’explosion récente des boutiques en ligne (et il faut s’apprêter à de nombreux bouleversements avec la venue des métavers), l’éventualité de voir apparaître des shoping center locaux (en ligne) n’est peut être pas si farfelue que cela. De telles plateformes pourraient en effet faire fonctionner la production de produits et de services locaux.
Des produits qui ne peuvent pas dépasser certaines limites géographiques sans franchir le stade de la production semi-industrielle ou industrielle, comme la nourriture et les boissons artisanales, mais aussi les produits issus de l’artisanat local qui rassemblent une multitude de compétences en tous genres. Les petites plateformes indépendantes pourraient devenir une généralité dans le futur, mais il est aussi possible qu’à court terme, vous puissiez vendre sur Amazon ou sur la plateforme de Carrefour, votre petit artisanat (il s’agit d’un phénomène en plein développement à l’heure actuelle), voir même les plats que vous cuisinez pourraient être disponibles sur une sorte de Neighborhood Uber Eat. Le retour de l’artisanat est un sujet qui est aujourd’hui en question, plus qu’il ne l’a été dans la seconde partie du XX°siècle. Et cela n’échappera pas longtemps à la subtilité d’Amazon ou de Uber (ou d’autres). Visitez un simple marché de Noël et vous pourrez vous rendre compte de la richesse de l’artisanat et de la formidable force créatrice qu’il génère. Pourrez-vous pour autant survivre en vendant les jouets en bois, en carton ou en tissus que vous fabriquez vous-même ?
C’était bien ?
Bon…
Mais ce n’est pas tout, car une époque formidable c’est aussi un site Web et des centaines de réflexions qui traitent des problématiques de notre monde et c’est aussi…
Un bureau de rédaction, d’illustration et un service de sponsoring !
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