La hausse du prix du pétrole et du gaz, vont-elles nous confiner à nouveau à la maison ?
Il serait grand temps d’y penser, alors que le prix de l’énergie est actuellement multiplié par 30 (par rapport à 2020) dans la plupart des régions européennes. Alors que nous venons d’abandonner le masque chirurgical que nous portions depuis deux ans, alors même que les entreprises demandent à leurs employés un retour au travail presque complet, la hausse des prix ne va-t-elle pas à nouveau forcer les gens qui travaillent et les étudiants, à rester à la maison ?
N’ayez pas peur, nous n’allons pas devenir des légumes pour autant !
Que se passerait-il si une fois pour toute, nous prenions un véritable goût à ne plus aller au bureau pour travailler ?
L’humain bloqué dans son habitat, c’est quelque chose qui intrigue, car tout au long de l’histoire, nous n’avons pas été habitué à cela. De tous temps, nous avons dû nous éloigner pour pouvoir satisfaire nos besoins primaires (sauf peut-être celui de se loger). L’immobilité dans un contexte numérique fait cependant peur, c’est un fait. Mais il ne faut pas confondre immobilité et immobilisme (l’immobilisme touche aussi des personnes qui parcourent la terre entière). Il ne s’agit pas ici de sombrer dans un état immersif, pouvant mener à un appauvrissement de l’expérience d’exister. Cet appauvrissement est typique chez certaines personnes ayant perdu toutes motivations d’interaction avec le monde physique. Ceux-ci passant la plupart du temps devant un écran de télévision ou d’ordinateur pour vivre une vie alternative que d’autres ont conçue pour eux. La personne substituant alors sa propre vie pour trouver une existence dans celle des autres…
Parlons plutôt ici d’une hybridation du monde physique et du monde numérique dans lequel nous poursuivons l’intégralité de nos activités. Qu’elles soient par ailleurs intellectuelles ou physiques, nous restons en activité. Oui mais voilà, nous commençons seulement à étudier et à discerner les aspects anxiogènes de la numérisation (et ce sont les adolescents qui en sont les plus victimes), c’est à dire la sur-sollicitation, l’addiction, l’espionnage, l’infobésité, la multiplication des interruptions ou encore une dépersonnalisation de l’échange due au chat. Il est donc très clair que dans l’esprit de beaucoup de gens, si l’immobilité se généralise, on peut se demander si d’autres pathologies ne vont pas devenir récurrentes, elles aussi.
Imaginons un seul instant qu’un couple travaille à la maison et que leurs deux enfants, adolescents étudient aussi à la maison, ne devant se rendre à l’école qu’à l’occasion. On peut redouter que l’ambiance devienne très vite explosive, s’il n’y a pas d’échappatoire.
Nous avons vécu un confinement plusieurs mois, qui s’est passé sans trop de mal (il faut néanmoins observer une forte augmentation des violences ménagères dans les premières semaines). En serait-il de même si nous vivions la même situation de manière permanente ?
Et que deviendrait le quartier, demain ?
Ce n’est pas si évident que cela et tout laisse penser que nous pourrions éprouver inévitablement le besoin de sortir et de côtoyer notre environnement proche, d’aller converser avec les voisins, de boire un verre, d’aller au restaurant ou encore de faire une balade en forêt. Quoiqu’il en soit, il semble évident que l’infrastructure de l’habitat ainsi que celui du quartier devrait probablement s’adapter à ces nouveaux comportements (ou peut être s’adapteront-ils de manière naturelle). Le quartier, le voisinage devrait donc, dans le cas d’un repli de l’individu sur l’habitation (quel qu’elle soit) jouer un rôle important, car c’est dans cet espace physique proche et immédiat que la nécessité de s’échapper va s’exprimer. Cela laisse bien entendu place à l’imagination…
Le quartier devrait-il en effet devenir un microcosme agréable où chacun va se divertir, se promener ou aller à la rencontre de ses voisins ?
C’est déjà un peu le cas aujourd’hui (du moins dans beaucoup d’endroits) mais le phénomène risque d’être d’une ampleur plus importante et les motivations qui poussent à sortir de chez soi, seraient cette fois bel et bien pour échapper à la tension interne du foyer et non plus à celle du travail. La question est de savoir si ces quartiers seront à l’image des communautés résidentielles fermées (Common interest developments (CID) ou Gated Communities) ou pas. Ces communautés résidentielles fermées et gardées sont toutefois particulières aux États-Unis et le sont de manière moindre en Europe. De l’autre côté de l’Atlantique, elles se développent à un rythme important depuis déjà de nombreuses années. Au début du siècle, 12% de la population américaine vivait dans 150,000 communautés résidentielles fermées. Elles pourraient même, avec le temps, rivaliser avec des collectivités locales en termes de pouvoir et de ressources…
Ce qui différencie ce type de quartier (qui devient dans certains cas, une véritable ville) avec un quartier traditionnel, c’est que le lien entre la compagnie qui administre cette communauté et les habitants qui y résident sont régies par des rapports marchands (écoles, bureaux, centres commerciaux, jardins publics, voir même des salles de sport, des terrains de tennis ou des piscines). Il s’agit ici d’une organisation similaire à celle d’une municipalité, mais de registre privé où l’autorité même de l’État est remise en question. Et c’est probablement ce qui explique que le phénomène n’est pas aussi développé en Europe. Car les administrations européennes sont fortement centrées sur les gestions étatiques (pour le meilleur et souvent aussi pour le pire) qui s’opposent forcément à la gestion par l’individu. Ce qui est moins le cas pour l’administration américaine qui traditionnellement laisse plus de place à ce dernier.
Des cités utopiques privées qui ne sont pas si loin de nous…
Le phénomène des gated communities est similaire avec celui des cités jardins de l’Angleterre du début du XX° siècle. Ces dernières ont été imaginées par Ebenezer Howard qui allait rechercher le meilleur dans ce que la ville et la campagne pouvaient offrir. Ce qui n’est pas non plus sans rappeler les propos d’un de ses compatriotes, William Morris :
“Une ville doit être planifiée comme un tout au lieu d’être laissée à elle-même et de croître de façon chaotique, comme toutes les villes anglaises, ainsi que dans la plupart de celles des autres pays”.
On ne peut reprocher, ni à Howard, ni à Morris de tenir de tels propos, mais les particularités inhérentes aux communautés résidentielles fermées jouent néanmoins sur deux principes :
Le premier est qu’elles isolent des groupes d’individus qui se rassemblent en communauté sur base de conditions sociales ou sur base d’intérêts communs. Des gens aisés, par exemple, qui trouvent dans ce système la garantie de conserver leurs biens, grâce notamment à une infrastructure de surveillance que la police n’est pas en mesure d’offrir.
Le deuxième aspect caractéristique de ces communautés, est qu’elles offrent l’accès à un modèle de vie précis qui échappe à toute autorité ou volonté publique. En d’autre terme, on peut décider d’adopter un modèle de vie à la carte en fonction de sa condition sociale. La mixité sociale s’efface donc au profit d’un groupe qui se renforce quant à lui dans une sorte d’auto-ségrégation volontaire. Les gated communities sont ainsi souvent présentées comme des symptômes des pathologies urbaines, au premier rang desquelles figurent les logiques d’exclusion sociale. Le processus de fermeture volontaire est associé à une accentuation de la ségrégation sociale. Enfin, la disparition des espaces publics au profit d’enclaves privées est présentée comme une sécession de la part des élites.
Ici encore, nous retrouvons avec ces communautés fermées cette idée centrale qui consiste à trouver un confort de proximité qui pousse à ne pas aller chercher ailleurs ce que l’on possède à proximité de soi.
Revenons-en donc à ce qui nous intéresse ici…
Peut-être que dans les prochaines semaines, la crise ukrainienne qui entraîne la flambée du prix de l’énergie et probablement des matières premières alimentaires telles que le blé, va nous forcer à nouveau à rester à la maison pour un temps, tant le coût des déplacements sera élevé. N’oublions pas cependant que le prix du chauffage et de l’électricité est lui aussi en train de monter en flèche. Néanmoins les ressources locales comme les panneaux solaires, les productions d’énergies alternatives qui pourraient enfin se développer en masse ou les chauffages traditionnels comme le bois (ou alternatifs au bois), vont aussi peser dans la balance. Peut-être sommes-nous à l’aube d’une nouvelle révolution énergétique et franchement, nous ne pouvons que l’espérer. Toujours est-il qu’un nouveau confinement à la maison – qui nous permettrait désormais de communiquer avec notre entourage, ce sans masque ou sans couvre-feu – pourrait définitivement nous donner envie de développer des modèles de vie très agréables et nous faire définitivement passer l’envie d’aller au bureau (ou d’envoyer nos enfants à l’école).
Au moindre doute, rappelez-vous qu’il est très rare après une crise que les prix des matières premières reviennent à ce qu’ils étaient. C’est souvent une révolution technologique qui fait bouger les choses. Nous l’avons vu dans le passé et tout semble démontrer que nous allons encore le voir dans le futur…