Déclaration d’indépendance du Cyberspace, où en est-on ?

Seule l’erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule”.

Thomas Jefferson, Notes on Virginia

“Gouvernements du monde industriel, vous géants fatigués de chair et d’acier, je viens du Cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande à vous du passé de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté où nous nous rassemblons [ ] Les gouvernements tiennent leur juste pouvoir du consentement de ceux qu’ils gouvernent. Vous n’avez ni sollicité ni reçu le nôtre. Nous ne vous avons pas invités. Vous ne nous connaissez pas, et vous ne connaissez pas notre monde. Le Cyberespace ne se situe pas dans vos frontières. Ne pensez pas que vous pouvez le construire, comme si c’était un projet de construction publique. Vous ne le pouvez pas. C’est un produit naturel, et il croît par notre action collective”.

John.P.Barlow, Déclaration d’indépendance du Cyberspace (1996)

La déclaration d’indépendance du Cyberspace, vous connaissez ?

Et bien jusqu’il y a quelques jours, je n’avais aucune connaissance de l’existence de cette dernière. Ce texte de 16 paragraphes à été rédigé en 1996 par John Barlow, au lendemain de l’approbation du Telecom Act, par l’administration Clinton. Une des toutes premières réglementation officielle du contenu du web…

En réalité, ce texte n’a rien de surprenant, car il récapitule tous les fondements qui ont vu naître l’informatique personnelle. Ceux voulus par des figures emblématiques de la contre-culture californienne de la fin des années 60 et des années 70. Parmi tant d’autres, Ken Kesey, Stewart Brand, Richard Stallman, Stephen Wozniak ou encore Steve Jobs. Tous ces gens avaient une vision utopiste du monde tel qu’il devait l’être (pour eux), après les années de guerre. 

La contre-culture puisait elle-même ses sources, d’une part dans la philosophie transcendantaliste américaine, qui concevait d’une manière générale les institutions comme l’unique moyen de corrompre l’individu. Tout particulièrement dans l’anarchisme de Henry David Thoreau. D’autre  part, cette vision était très largement alimentée par le Rock and Roll (qui appelait lui-même au rejet des institutions), la musique psychédélique et les chansons décalées de Bob Dylan et de John Lennon.

Vu que c’est ce véritable bouillon de culture qui a donné le jour aux ordinateurs personnels connectés que nous avons aujourd’hui, il n’y a rien de surprenant qu’au moment où Internet commence à se répandre un peu partout dans le monde, une revendication claire d’un besoin de détachement par rapport aux institutions n’éclate au grand jour.

Bon, tout ceci c’est pour l’histoire, mais où en est-on aujourd’hui ?

La contre-culture a-t-elle gagné ?

Vu d’une certaine façon, on pourrait dire que les batailles continuent, mais que la victoire semble encore très loin. Jamais le Web n’a été aussi encadré, réglementé et quant à cette liberté d’action hautement revendiquée dans cette déclaration, il faut bien avouer qu’elle nous montre bien ses limites. D’un côté nous avons des hordes de Dark Hackers qui nous empêchent de vivre pleinement en piratant et en violant nos vies. De l’autre les entreprises de la Tech sont muselées par des législations de plus en plus contraignantes. Quand elles ne sont pas punies sévèrement pour ne pas avoir respecté les règles qui leur sont imposées. 

Revenons quelques instants sur cette lutte pour la liberté qui existe depuis que le pouvoir organisé existe lui aussi… 

Elle a traversé les siècles, pris la forme de conflits ouverts et de complots menant à des révolutions. Des guerres puniques à la seconde guerre mondiale, en passant par la guerre des Gaules, par l’émancipation des serfs au XI°siècle – qui se rassemblent autour des Églises pour créer les villes que nous connaissons aujourd’hui – par la renaissance, par l’exil de millions de personnes qui vont partir chercher un avenir plus radieux dans les colonies, par les révolutions – y compris industrielles – des XVIII° et XIX°siècles… 

La lutte pour la liberté n’a jamais cessé, mais elle prend une toute nouvelle forme à partir du moment où le transcendantalisme commence à envisager concrètement l’émancipation des individus par rapport aux institutions…

Bien entendu, nous pourrions dire que ces penseurs américains étaient très clairement inspirés par la philosophie des lumières française. Elle même, à la base des révolutions américaines et françaises et de bien d’autres encore. Mais ce que la philosophie des lumières recherche dans son ensemble, c’est la liberté de l’individu à travers une autorité étatique différente de la monarchie de droit divin. La république est en ce sens, ni plus ni moins qu’une version populaire de la monarchie.  

Dans notre histoire moderne, concevoir la liberté de l’individu par lui-même (sans avoir à dépendre d’institutions politiques ou religieuses) est un phénomène assez rare.

C’est donc à partir de là qu’il serait, historiquement intéressant de partir :

La désobéissance civile (1849), Walden (1854), Pour John Brown (1859)…

Rejet du modèle de vie des parents, rejet des valeurs traditionnelles (La désobéissance civile). Dématérialisation, écologie, retour à la nature, rejet de la société de consommation, rupture avec le modèle du travail (Walden). Lutte pour les droits civiques (Pour John Brown)

Toutes ces notions sont exactement celles de la contre-culture californienne des années 60. 

Elles vont se forger à travers le XX°siècle – véritablement à partir de 1912 – avec le personnage anti-institutionnel de Charlie, le célèbre vagabond de Charlie Chaplin… Premier produit culturel californien que l’occident va partager et adorer.  Elles vont se définir technologiquement dans le texte magistral de Vannevar Bush “As We May Think” . Elles vont profiter à l’invention géniale de Pat Haggerty – la radio portable à transistor – qui va contribuer très largement au travers du Rock and Roll à produire une base très fertile pour l’émancipation des jeunes générations qui vont de plus en plus revendiquer une volonté d’éloignement par rapport à la manière de vivre de leurs parents.

Toutes ces valeurs se reflètent désormais dans la déclaration d’indépendance du Cyberspace, et même si le chemin est encore long, même si de nombreuses batailles sont encore à mener, il semblerait que rien ne puisse dans l’avenir résister au propos de Barlow :

“Le Cyberespace ne se situe pas dans vos frontières. Ne pensez pas que vous pouvez le construire, comme si c’était un projet de construction publique. Vous ne le pouvez pas. C’est un produit naturel, et il croît par notre action collective”. 

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